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Itsacurrina Théonyme apparaissant dans une inscription votive découverte à Izcue (Cendea de Olza, Navarre, Espagne). Un certain Valerius Badan[...] Abisunso a consacré une offrande à la déesse Itsacurrina, pro salv[o]te et reditu, "pour son salut et son retour", s'acquittant de son voeu libente animo.
La formule pro salute et reditu appartient au registre des invocations destinées à protéger un voyageur ou un déplacement. Elle peut être faite avant un voyage (pour obtenir une protection) ou après (en remerciement du retour). L'inscription, telle qu'elle est conservée, ne permet pas de déterminer si le dédicant se trouvait au départ ou déjà de retour : elle atteste simplement qu'Itsacurrina était invoquée comme divinité bienveillante favorisant la santé et le retour du dédicant (Iglesias Gil, 2011).
Itsa...
L'élément initial itsa- / itz- / its- présent dans Itsacurrina ne peut pas être interprété à partir du latin ou du celtique, mais s'insère correctement dans la morphologie connue du basco-aquitain. Bien qu'aucun mot aquitain ne soit attesté sous cette forme exacte, les spécialistes signalent que les séquences itz- / its- appartiennent au fonds ancien du basque et constituent des morphèmes remontant vraisemblablement à la proto-langue vasconique. Mitxelena (1961) les considère comme des racines très anciennes du basque (itz "mot, parole", its "salé, marin", itsu "aveugle"), tandis que Trask (1997) en souligne l'ancienneté et la productivité comme éléments lexicaux. Gorrochategui (1984), sans proposer d'équivalent direct pour l'aquitain, note que ces structures phonologiques sont compatibles avec la formation des noms aquitains et apparaissent régulièrement dans les comparaisons basco-aquitaines. L'initiale itsa- de Itsacurrina peut donc être tenue pour un élément vascon ancien, sans que son sens puisse être établi.
...currinae
Le segment final -currina de Itsacurrina s'explique bien dans la tradition anthroponymique aquitano-basque, où de nombreux noms sont formés sur une racine personnelle suivie du suffixe -n / -na, marque très productive dans l'onomastique indigène préromaine. Gorrochategui (1984) a montré que -na sert à former des anthroponymes à partir de thèmes personnels, souvent avec valeur individualisante ou dérivationnelle (p. ex. Belexeia / Belexe-na, Andere / Ander-e-na). Ce suffixe apparaît également dans des noms aquitains relevés par l'épigraphie romaine : Atta-na, Urdin-na, attestant sa productivité. L'élément -curri- (possible racine personnelle) n'a pas d'étymologie certaine, mais sa structure syllabique et sa place dans le mot sont compatibles avec les racines anthroponymiques indigènes décrites par Mitxelena (1973) et reprises par Velaza (1998) pour l'onomastique vasconne. Ainsi, la forme Currina s'analyse naturellement comme un anthroponyme [Curri + -na], sur le modèle morphologique courant de l'Aquitano-Vascon (thème nominal + suffixe personnel -na).
Abisunso
Le nom du père du dédicant, Abisunso-, s'inscrit clairement dans la morphologie anthroponymique aquitano-basque, où les suffixes -sso / -so / -sun / -s(n)o jouent un rôle important dans la formation des noms personnels. Mitxelena (1973) et Gorrochategui (1984) ont montré que ces suffixes, très productifs dans l'onomastique aquitaine (par ex. Belexsso, Andere-sun), servent souvent à marquer soit l'individualisation, soit une relation filiale ou lignagère interne, fonction proche d'un patronymique autochtone. Le nom Abisunso- peut donc être segmenté en Abis- + -unso / -sunso, suivant un modèle bien attesté dans les régions vasconnes préromaines. Plusieurs parallèles montrent que la séquence interne -sun- / -sune- / -sno- est fréquente dans les noms d'Aquitaine (cf. Barsuns, Belexsunne), ce qui renforce l'interprétation d'une formation morphologique indigène plutôt qu'un nom latinisé. Ainsi, le nom du dédicant (Abisuns...-onis) peut être compris comme un anthroponyme local formé par suffixation patronymique propre à la tradition basco-aquitane, confirmant le caractère autochtone du milieu linguistique auquel appartient l'inscription.
En conclusion
En revanche, la structure morphologique du nom s'explique beaucoup plus naturellement dans le cadre linguistique basco-aquitain, très bien représenté dans l'onomastique antique de Navarre et du Pays basque. L'initiale itsa- / itz- / its-, bien que d'interprétation sémantique incertaine, correspond à un élément phonologique ancien typique du fonds vasconique (Mitxelena, 1961 ; Gorrochategui, 1984), absent des langues indo-européennes régionales. Le segment -curri / -k(u)rri présente également une forme compatible avec des bases anthroponymiques et toponymiques aquitaines (Trask, 1997), sans équivalent latin ou celtique sûr. Enfin, le suffixe -na est l'un des plus caractéristiques de l'onomastique aquitaine antique, présent aussi bien dans les anthroponymes que dans les théonymes.
Ainsi configuré, Itsacurrina possède une morphologie précisément conforme aux formations divines du domaine aquitano-vascon antique. La divinité était très probablement locale et tutélaire - peut-être attachée à un lieu, un relief ou une source - ce que suggère l'emploi de morphèmes vasconiques typiquement employés dans les noms divins et toponymes régionaux, sans qu'il soit toutefois possible de préciser le sens original de itsa-.
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