Hum ! Si vous le voulez bien, je vous propose le texte suivant extrait d'un ouvrage de vulgarisation sur
Melar, prince breton:
Un résumé de l'histoire de saint Melar
Meliau, roi de Cornouaille armoricaine, monarque vertueux et aimé de Dieu, est assassiné par son frère Rivod, lequel, pour asseoir définitivement son pouvoir, veut également supprimer Melar, âgé de sept ans, le fils et l'héritier de Meliau ; mais, suite aux prières des membres de sa cour, Rivod se contente dans un premier temps de faire mutiler Melar pour le rendre inapte aux fonctions de chef de guerre. L'enfant est alors conduit dans un monastère où il demeure sept années. Rivod, ayant appris, à la suite de petits miracles opérés par Melar, que la main d'argent et le pied de bronze, appliqués à son neveu en remplacement de ses membres coupés, étaient aussi efficaces que s'ils eussent été naturels, corrompt le gouverneur (nutritor ou nutritius) du jeune prince, Kerialtan, en promettant à ce dernier de lui donner tout ce qu‘il pourra apercevoir du haut du mont Frugy, à Quimper, s’il accepte de tuer Melar, alors sous la protection de l'évêque de Cornouaille.
Consultée, la femme de Kerialtan, qui feint d’être intéressée par la proposition, conseille à son mari de retourner auprès de Rivod pour obtenir de lui l’accord le plus avantageux et profite de cette diversion pour s'enfuir en Domnonée (région septentrionale de la péninsule) avec le jeune prince, lequel ignore ce qui se trame contre lui ; les fugitifs viennent se placer sous la protection du comte Commor. Commor et sa femme, la tante paternelle de Melar, demeurent dans un château appelé Beuzit (Boxidus) en l’actuelle commune finistérienne de Lanmeur. Malgré tous les soins apportés à sa sécurité par sa famille d'accueil, Melar est rejoint dans son refuge par les séides de Rivod, Kerialtan et le fils de ce dernier, Justan, qu'il accueille avec des transports de joie et qui néanmoins l'assassinent puis le décapitent.
En s'enfuyant du château la nuit du crime, Justan fait une chute et se tue ; emportant la tête du saint, Kerialtan se lance alors dans une course éperdue vers Quimper. A un moment, comme il va mourir de soif, l’intervention miraculeuse du petit martyr, décidément peu rancunier, fait jaillir une source où Kerialtan peut se désaltérer. Finalement le nutritor dénaturé apporte à Rivod la tête de Melar et touche la récompense promise pour l'accomplissement de son forfait. Mais il est frappé par la justice divine qui l'aveugle et le fait mourir à l’instant même. Pendant ce temps, Commor et sa femme ont fait inhumer le corps martyrisé de Melar successivement dans leur château, puis dans une église qui n’est pas nommée (ad quamdam ecclesiam), enfin à Guimaëc (in locum qui dicitur vicus Maioci), commune de l’actuel canton de Lanmeur ; mais à chaque fois, on retrouve le tombeau déserté par son occupant. Alors, un endroit désigné miraculeusement par le saint lui-même, dont le corps avait été disposé sur un chariot tiré par des taureaux que nul ne guidait, accueille définitivement la sépulture du jeune prince. Quant à Rivod, il est lui aussi privé de la vie, le troisième jour après que Kerialtan lui eut apporté la tête de saint Melar.
Ce précieux objet, qui sur place occasionnait de nombreux prodiges, notamment la punition des parjures, n'avait pas ensuite été ramené auprès du corps martyrisé ; et cela constituait la cause d'un désaccord permanent entre les habitants de la Cornouaille et ceux de la Domnonée. Après de nombreuses années, les chefs politiques et religieux des deux comtés (consulatus) s'accordèrent pour apporter, à l'occasion d'une rencontre sur leur frontière même, dans les monts d'Arrée, le corps et la tête de saint Melar, lesquels furent placés à quelque distance l'un de l'autre. Alors, après le jeûne de trois jours d'une grande assemblée de fidèles en prière, sous le regard de ceux-ci, la tête vint d'elle même et sans aide aucune rejoindre le corps ; par quoi on en conclut que l'un et l'autre devaient être désormais inhumés en terre domnonéenne, au lieu même de la sépulture qui avait été celle du seul corps du petit martyr. Ce qui fut fait.
Quant à l'endroit où avait eu lieu le miracle favorable aux Domnonéens, il fut consacré par la construction d'un oratoire en l'honneur de saint Melar ; mais ce qui était devenu un lieu de culte très renommé et attirait de nombreux pèlerins fut victime de son succès. Ceux qui possédaient par droit héréditaire le bien-fonds de l'endroit pillèrent les nombreuses offrandes et perturbèrent les assemblées de pèlerins qui se tenaient là. L'oratoire tomba en ruine et le souvenir de saint Melar n'était plus désormais conservé en ce lieu que par deux pieux fichés en terre là où l'on avait posé le corps et la tête du martyr.
Cette histoire s'intègre dans le cadre du dossier hagiographique du personnage ; voir à ce sujet (tiré du même ouvrage) :
Le dossier hagiographique de saint Melar
De la tradition littéraire relative à tel ou tel saint sans notoriété particulière, tradition le plus souvent engloutie en même temps que les rares manuscrits anciens qui en conservaient les différents états, surnagent parfois quelques épaves, copies tardives, incomplètes ou infidèles, vestiges plus ou moins informes qui ne permettent pas toujours la datation voire l'identification de leurs modèles. Ainsi pour saint Melar disposons-nous, outre plusieurs compositions modernes (en français et en breton) datées avec précision, d'un corpus de textes médiévaux, majoritairement écrits en latin, mais où figure également une traduction versifiée en anglo-normand, et qui dérivent tous, à des degrés divers de fidélité, de deux vitae — le mot vita désigne un ouvrage hagiographique latin qui contient le récit de la vie d’un saint — aujourd’hui perdues.
La consultation de sources anglaises permet de fixer avec assez de précision le terme de la composition de ces deux vitae : la plus ancienne a été abrégée, en même temps que le récit de l’épisode miraculeux relatif aux reliques du saint, par le compilateur du Sanctilogium Angliae, Walliae, Scotiae et Hiberniae, Jean de Tynemouth, qui travaillait vers 1325-1350, sans doute à l'abbaye de Saint-Albans ; l'autre vita, plus récente, a inspiré l'auteur du Legendarium d'Exeter, l'évêque Jean de Grandisson, qui travaillait vers 1340-1365.
Le terminus a quo de la composition de chacune de ces deux vitae est moins aisé à déterminer. Il est probable que l'histoire de saint Melar était déjà connue et racontée à Lanmeur dès le milieu du IXe siècle, puisque l’hagiographe Bili, qui a pu d’ailleurs l’entendre sur place à l’occasion de son déplacement à Saint-Pol-de-Léon, paraît s’en être inspiré pour plusieurs épisodes de sa propre composition sur saint Malo ; dès cette époque le récit débordait déjà largement la seule existence terrestre du jeune prince et traitait également de ses origines familiales ainsi que des événements intervenus après son martyre. Cette éventuelle tradition mélarienne à Lanmeur était-elle alors déjà fixée par écrit ou demeurait-elle simplement orale ? La question est d'importance et ne peut être tranchée de manière définitive. Les pièces conservées du dossier littéraire de saint Melar font explicitement référence en plusieurs occasions à des sources orales, mais ne disent rien des éventuelles sources écrites auxquelles leurs auteurs ont peut-être puisé.
En tout état de cause, le récit connu dès l'époque carolingienne à Lanmeur a fait l'objet d'un traitement écrit dans le dernier tiers du XIe siècle, probablement entre 1066 et 1084, non seulement « mode d'emploi » des reliques vénérées dans le martyrium du lieu, mais encore justification des droits de la maison de Cornouaille en Trégor. L'hagiographe était bon connaisseur de la tradition mélarienne locale, peut-être conservée par des acta anciens du saint, et évidemment intéressé au développement de la notoriété du sanctuaire ; en outre il s'est appuyé sur les éléments d'une enquête élargie à la Cornouaille et au Léon : c’est à cette occasion qu’il a composé, en appendice à la vita, un ouvrage distinct, très court, relatif au transfert et à la réunion miraculeuse des reliques du saint, épisode évidemment plus tardif, que l’hagiographe situe dans les monts d’Arrée. Cet ensemble hagiographique à vocation essentiellement régionale fut cependant transporté très tôt hors de Bretagne, puisque qu’on le retrouve notamment à Meaux et à Amesbury où, là encore, il remplit sur place son rôle de « mode d'emploi » de reliques de différents saints nommés Melar. En même temps, il est possible que le sanctuaire de Lanmeur, où était sans doute conservé originellement le ms. original de l’ensemble en question, ait connu des événements qui amenèrent la perte au moins partielle de ce ms. : ainsi, l’anecdote du miracle des monts d’Arrée, épisode connu à Meaux et à Amesbury, était-elle formellement ignorée en Basse-Bretagne aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, autant à Quimper qu'à Lanmeur.
D’ailleurs il semble que la seconde vita de saint Melar omettait déjà cette anecdote : la source principale de l’hagiographe est pourtant bien la première vita à laquelle il emprunte la trame générale du récit ainsi qu'un certain nombre de détails ; mais nous ne savons pas où il a consulté cet ouvrage et s’il a pu prendre connaissance de l’ensemble hagiographique dont la première vita faisait initialement partie. En tout état de cause, c’est par la seconde vita que la tradition mélarienne était connue non seulement à Exeter, au moins depuis le milieu du XIVe siècle, mais également en Basse-Bretagne, à la fin du Moyen Age, notamment sous la forme d'un abrégé tardif, désigné Legenda sancti Melarii, inséré dans un « légendier » léonard. A l'analyse de ce qui nous a été conservé de cet abrégé, il apparaît que l’auteur de la seconde vita a combiné de façon savante les autres sources à sa disposition dans une perspective nettement historiographique. Une telle préoccupation, plus « historienne » — si du moins cette remarque se rapporte effectivement au texte emprunté par la Legenda sancti Melarii à la seconde vita — se retrouve également dans un certain nombre de textes hagiographiques de la fin du XIIe ou du début du XIIIe siècle, relatifs à des saints honorés en Léon ; et le tout pourrait bien être sorti de la plume du même auteur. Par ailleurs quelques indices permettent de supposer que la seconde vita de saint Melar, sous une forme abâtardie ou peut-être vernacularisée, sincère et en même temps fardée, était encore connue à Lanmeur au début du XVIIe siècle où elle figurait dans un ms. alors conservé dans le «trésor» de l'église du lieu. S'est expressément inspiré du contenu de ce ms. le lanmeurien Yves Arrel pour composer son ouvrage sur saint Melar, véritable « roman » hagiographique paru en 1627, auquel Albert Le Grand a lui-même emprunté presque toute la matière de sa propre Vie du petit prince martyr, parue en 1636.
Enfin, concernant l'identification du saint et de ses homonymes :
Identification d’un saint
Dom J. Dubois et J.-L. Lemaître, dans leur récent ouvrage sur les Sources et méthodes de l'hagiographie médiévale rappellent opportunément combien, en matière d'identification d’un saint, la méthode tout à la fois simple et rigoureuse, qui fut mise au point par le P. Delehaye, demeure actuelle : il faut déterminer ce que le savant bollandiste appelait les «coordonnées hagiographiques» du saint, c'est à dire d'une part l'endroit où fut déposée sa dépouille mortelle, d'autre part le jour et le mois de cette depositio, moins en s'appuyant sur la partie littéraire du dossier hagiographique qu'en puisant aux sources liturgiques (calendriers, litanies, martyrologes).
A Lanmeur où il est réputé avoir été inhumé, saint Melar prince et martyr est traditionnellement fêté au 1er octobre et le calendrier placé en tête d'un sacramentaire du Xe siècle, vraisemblablement d'origine bretonne armoricaine, porte déjà à cette date le nom Meleri, mais — et c’est très important — sans précision sur la qualité du saint. C'est également la date que donnent le calendrier d'un bréviaire de Tréguier du XIVe ou du XVe siècle, deux missels de Saint-Malo du XVe siècle et les différents livres liturgiques de l'abbaye Saint-Magloire de Paris aux XIVe et XVe siècles. Le martyrologe d'Exeter au XIIe siècle, le calendrier d'un psautier de Fontevrault et/ou d'Amesbury du XIIIe ou du XIVe siècle, le sanctoral d'un bréviaire de Salisbury du XVe siècle indiquent aussi la même date, ainsi que le calendrier du propre de l'abbaye de Châge. Les liturgies léonarde et quimpéroise placent la fête du jeune prince au lendemain 2 octobre — date à laquelle les moines de Redon honorait un saint Melar, qui doit être l’évêque homonyme dont l’abbaye conservait les reliques— voire au surlendemain 3 octobre ; mais il s’agit là de simples déplacements destinés à faciliter la célébration au 1er octobre d'autres saints plus importants, sans remise en cause de la commémoration principale de saint Melar à cette dernière date.
Celle-ci, pour être ainsi la plus notoirement rapportée au culte du jeune prince martyr de Lanmeur, n'en demeure pas moins problématique. D'abord parce que fait difficulté la qualité de martyr effectivement reconnue à Melar dans les différentes pièces que nous venons de citer, à l'exception notable, comme nous l’avons souligné, de la plus ancienne d'entre elles. Ensuite parce qu'un calendrier de la fin du IXe siècle, vraisemblablement d'origine bretonne armoricaine, fait mention au 25 octobre de la passio Melori et Budcati. Enfin parce que d'après Dom Lobineau, lequel a utilisé des notes du P. Du Paz, un certain martyrologe de Léon (sic) aurait contenu la mention suivante : I. octobris. In Britannia S. Melori episcopi et martyris. D.-B. Grémont qui adopte les conclusions de Dom Lobineau sur la localisation en Bretagne insulaire de ce personnage, suppose que le martyrologe en question était celui de Lyon ; mais les différents martyrologes historiques composés à Lyon et/ou par des « lyonnais » ne donnent aucun élément qui puisse conforter cette hypothèse. Il semble bien que ce Melar « évêque et martyr » provienne de la confusion entre deux homonymes : un évêque initialement honoré le 1er octobre, dont les reliques étaient à Redon au IXe siècle, et un martyr qui était fêté à la même époque au 25 octobre. A partir du XIe siècle, la substitution du martyr à l'évêque, laquelle résulte du développement du culte du jeune prince honoré à Lanmeur, s'est évidemment faite en adoptant la date du 1er octobre qui était la plus connue et la plus répandue en Bretagne armoricaine. C'est cette date qui a été également retenue outre-Manche pour être celle de la fête du jeune prince martyr, sauf au prieuré de Launceston en Cornouaille britannique où l'on a conservé celle traditionnelle du 25 octobre. Le jeune prince martyr était en outre commémoré le 6 mai dans le diocèse de Meaux ; cette date, également connue de la liturgie rennaise, est explicitement donnée comme étant celle de l'anniversaire d'une translatio des reliques du saint. Enfin il faut mentionner la date du 14 mai, qui est celle d’une commémoration secondaire de Melar dans le diocèse de Léon et qui rappelait l’épisode de la réunion miraculeuses des reliques du saint.
A Tréméloir on honore un saint Melar abbé dont le pardon a lieu le dernier dimanche d'août. Plusieurs auteurs ont signalé le « tombeau de saint Melar » qu'on croit être celui de l'éponyme de Tréméloir et qui se voit encore au lieu-dit Kervéret, «la ville du cimetière», en l'ancienne paroisse et actuelle commune de Lanloup, à une vingtaine de kilomètres au nord de Tréméloir ; ce « tombeau » est une dalle en granit sans authenticité, sur laquelle on faisait autrefois marcher les enfants pour leur fortifier les jambes, culte ancien dont la finalité indiquerait plutôt qu'il est à mettre en rapport avec le jeune prince martyr. Aucun livre liturgique n'a semble-t-il gardé le souvenir de saint Melar abbé ; mais la date de sa fête à Tréméloir est à mettre en relation, comme nous l’avons dit, avec celle de Mylor en Cornouaille britannique (le 21 ou le 28 août). C'est à Mylor, déjà désigné ecclesia sancti Melori en 1223 et attribué en 1288 aux chanoines voisins de Glasney, que la tradition insulaire localise un autre tombeau de saint Melar ; la tradition en question était déjà connue de Nicolas Roscarrock, lequel met cette sépulture en rapport avec la légende du jeune prince martyr et allègue l'autorité d'un vieux ms. provenant vraisemblablement de la bibliothèque de la collégiale Saint-Thomas-de-Glasney.
Il a été question de saint Mélar à plusieurs reprises sur le forum de l'AC, notamment
ici.
Sur son dossier hagiographique, le dernier état de la question est
là.
Cordialement.