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MessagePosté: Mer 09 Nov, 2011 11:49
de ejds
L’amour entre deux êtres ne rencontre aucun obstacle.

Dans le roman de Chrétien de Troyes se trouve beaucoup d’itinéraires périlleux et d’épreuves pour rejoindre le royaume d’où nul étranger ne retourne.

On peut y entrer non seulement par deux passages dangereux, l’un "li ponz evages", le pont en dessous de l’eau ou pont immergé, l’autre "le pont de l’espee", mais aussi par un autre "li passages des pierres", le passage des pierres, bien défendu...

Guenièvre donne rendez-vous à Lancelot à la fenêtre de sa chambre dans le château, et, dans le plus grand secret, à nuit tombée, sans lune ni étoiles. Mais pour pénétrer dans la chambre, la grille de solides barreaux de fer est forcée et blesse le chevalier…

Re: Pont du secret

MessagePosté: Mer 09 Nov, 2011 11:58
de Claudine
Références qui montrent bien que le pont n'est pas un lieu de rendez-vous amoureux (même secret...), vision trop romantique. Reste que je suis curieuse de savoir quand et par qui cette interprétation a été diffusée.

Re: Pont du secret

MessagePosté: Mer 09 Nov, 2011 20:18
de Muskull
Claudine a écrit:Références qui montrent bien que le pont n'est pas un lieu de rendez-vous amoureux (même secret...), vision trop romantique. Reste que je suis curieuse de savoir quand et par qui cette interprétation a été diffusée.

Le syndicat d'initiative aidé par les néodroïds qui voulaient créer un piège à "celtix" romantico-baba-écolo parce que ça rapporte des sous. What else ? :P

Re: Pont du secret

MessagePosté: Mer 09 Nov, 2011 20:37
de Alexandre
Ce pont de l'épée ressemble à un recyclage du thème chamanique bien connu du pont mince comme une lame de rasoir par où la vertu des morts est éprouvée avant d'accéder à leur Royaume.

MessagePosté: Lun 14 Nov, 2011 13:45
de ejds
« Bréchiliant
Dont Bretons vont souvent fablant
Une forest mult lunge et lée
ki en Bretaigne est mult loée…
» notait Robert Wace dans son Roman de Rou.

La matière de Bretagne a ses accès secrets où temps et raison n'entrent pas. Elle a fourni un cadre à l’écriture de multiples auteurs jusqu’à la fin du Moyen Age, et d’où, plus commodément, s’échappe l’imaginaire que la réalité.

Nombreuses sont les villes, villages, lieux-dits (Pontivy, Pont-Aven...) qui ont un nom, des histoires à raconter. Le Roman de Ponthus (XIVe siècle), le dernier de la Table ronde, raconte l’histoire de Ponthus, prince de Galicie.

— « Ce Ponthus aurait laissé son nom à une partie de la forêt : Paimpont ne serait autre chose que Penn Ponthus, « la tête de Ponthus ». Si cette étymologie est discutable, et si Paimpont signifie plus simplement le bout du pont, Penn Pont. En revanche des traces plus certaines d’un ancien maître des lieux subsistent près de Barenton. » Gwenc'hlan Le Scouëzec, Le guide la Bretagne, Coop Breizh, 2002, 640 pages, p. 408.

Guenièvre aurait avoué son amour sur le Pont-du-Secret qui enjambe l’Aff entre Plélan et les Forges de Paimpont, grandes mangeuses de bois, et dont la date de construction remonte à 1633 ; et dans la foulée aussi, et depuis, les ouvrages d’arts routiers, fluviaux… Dont ce pont, probablement maintes fois entretenu, reconstruit ou renommé.

Dans le Lancelot de Chrétien de Troyes, en vieux français secret se dit celee, secrètement celeeman. Autre pont, autre secret (mais sans Guenièvre :cry: ).

Dans le roman Lancelot en prose, Galehaut ou Gallehault, Sire des lointaines Isles, est prédit à l’avance du terme de sa vie en franchissant un pont de quarante-cinq planches, et qu’ensuite il tombera et se noiera dans l’eau : « si en yrés au fons sans revenir ».
Il cachera ce funeste secret à Lancelot.

Re: Pont du secret

MessagePosté: Lun 14 Nov, 2011 19:18
de Claudine
Ponthus dans l'étymologie de Paimpont, cela me paraît improbable - le roman date du XIVe siècle. Tout au plus une fausse étylomogie rétrospective bien entretenue par la famille Laval-Montfort pour cautionner ses droits sur la forêt et sa légitimité face aux Rohan (voir l'introduction de M.C. de Crécy (éd. Droz): "un roman à prétentions lignagères".
Quant à Guenièvre, "elle aurait avoué son amour sur le Pont du Secret"... je cherche toujours le texte sur lequel on s'appuie pour le dire.

MessagePosté: Ven 02 Déc, 2011 12:34
de ejds
Les aventures de Lancelot sont un roman-fleuve où se renouvelle l’écriture, et où se déchaînent les intrigues et les passions. Elles commencent par les enfances du héros. Enlevée par la fée Ninienne ou Vivienne..., il est élevé dans son domaine du lac. Lorsqu’il arrive en âge d’être chevalier, sa protectrice l'emmène à la cour du roi Arthur. C’est là qu’il tombe amoureux de Guenièvre. Le géant Galehaut, seigneur des îles lointaines envahit le royaume. Lancelot devient son allié et parvient de faire la paix avec Arthur. C’est Galehaut qui, par amitié (!), favorise le premier baiser entre Lancelot et Guenièvre.

J. Markale, dans sa "Petite encyclopédie du Graal", Pygmalion, 1997, 355 pages, pp. 208-9, a écrit:
Vers le sud de la forêt, à la limite exacte des départements d’Ille-et-Vilaine et du Morbihan, un pont de pierre, sur l’ancienne route nationale, franchit la petite rivière de l’Aff. Et là, on ne sait pas bien pourquoi, ni depuis combien de temps, on a localisé l’endroit où Lancelot et la reine Guenièvre échangèrent leur premier baiser, à l’abri des regards indiscrets, veillés seulement par le preux Galehot, l’ami fidèle de Lancelot, et la mystérieuse Dame de Malchaut. Ainsi en est-il du Pont du Secret.

Texte qu’on peut retrouver dans le Lancelot : roman en prose du XIIIe siècle, 1982, par Alexandre Micha. Ou encore dans l'étude dans son jus faite en 1870, par W. W Skeat, du roman français de Lancelot du Lac, réimprimé en 1513 :

LANCELOT OF THE LAIK :

A Scottish Metrical Romance,
(About 1490-1500 A.D.)

"Dame," faict il, "grant mercy | donc baisez le deuant moy pour commencement de vrayes amours."

"Du baiser," faict elle, "ie ne voy ne lieu ne temps | et ne doubtez pas," faict elle, "que ie ne le voulsisse faire aussi voullentiers quil feroit mais ces dames sont cy qui moult se merueillent que nous auons tant fait, si ne pourroyt estre que ilz ne le vissent. Nompourtant, se il veult, ie le baiseray voullentiers." Et il en est si ioyeulx que il ne peult respondre si non tant quil dict.

“Dame,” faict il, “grant mercy” | “dame,” faict Gallehault, “de son vouloir nen doubtez ia | Car il est tout vostre, bien le saichez, ne ia nul ne sen apperceuera; Nous troys serons ensemble ainsi comme se nous conseillions” | “Dequoy me feroye ie pryer” | faict elle | “plus le vueil ie que vous.” Lors se trayent a part, et font semblant de conseiller.

La Royne voyt que le cheuallier nen ose plus faire, si le prent par le menton, et baise deuant Gallehault assez longuement. Et la dame de Mallehauli (sic) sceut de vray que elle le baisoyt. Lors parla la Royne qui moult estoyt sage & vaillant dame.

“Beau doulx amy,” faict elle, “tant auez faict que ie suys vostre; Et moult en ay grant ioye. Or gardez que la chose soyt celee. Car mestier en est. Je suys une des Dames du monde dont len a greigneur bien dict, Et se ma renommee empiroyt par vous, il y auroyt layde amour et villaine | et vous, Gallehault, ie vous prye que mon honneur gardez | Car vous estes le plus saige | Et se mal men venoyt, ce ne seroyt si non par vous; Et se ien ay bien et ioye, vous me lauez donnee.”

Illustrations du premier baiser

Premier baiser et premier secret (celee) par l’image (du monde oui mais toujours point de pont en Paimpont, de près ni de loin !) :

Image

Amsterdam, Biblioteca Philosophica Hermetica, MS 1, ii, f. 140,

Lancelot-Graal, The First Kiss
© Alison Stones


Image

Galehaut presides over the First Kiss of Lancelot and Guinevere (left).
Lady Malohaut, Senechal, and Laura of Carduel conversing "far from the others, very surprised to be left so alone,"
unaware of the scene between the lovers.

From Le Roman de Lancelot du Lac. Northwestern France, early fourteenth century. M. 805, f.67.
The Pierpont Morgan Library/Art Resource, New YorK.


Image

Lancelot-Graal avec interpolation du Perlesvaus
Premier baiser de Lancelot et Guenièvre
Paris, vers 1404 et vers 1460

Parchemin, III-154-III f. (2 col.), 490 x 340 mm
Provenance : Jean, duc de Berry († 1416) ; Jacques d’Armagnac, duc de Nemours († 1477) ;
présent dans la Bibliothèque du roi sous François Ier
BnF, Manuscrits, français 118 [série français 117-120] (f. 219 v°)


Image

Cycle du Lancelot-Graal : III. Roman de Lancelot
Lancelot embrassant Guenièvre

Manuscrit en quatre volumes réalisés pour Jacques d'Armagnac, duc de Nemours.
Atelier d'Evrard d'Espinques. Centre de la France (Ahun), vers 1475.
BnF, Manuscrits, Français 114 fol. 239v.

Re: Pont du secret

MessagePosté: Sam 03 Déc, 2011 21:27
de Claudine
Merci pour toute cette documentation et surtout pour les images: tout cela me confirme bien que la "pont" n'a rien à faire avec l'amour "secret" ou "celé", quoi qu'en dise Markale.
Bien cordialement

MessagePosté: Mer 07 Déc, 2011 12:40
de ejds
Comment Messire Lancelot du lac s’acointa premièrement de la Royne
Genièvre et fut son chevalier et elle sa dame par les moyens de Galehaul
t.


Image

Roman de Lancelot
Lancelot embrassant Guenièvre

Centre de la France (Ahun), entre 1466 et 1470, atelier d'Evrard d'Espinques
Compilation arthurienne de Micheau Gonnot en trois volumes réalisée pour Jacques d'Armagnac, duc de Nemours
BnF, Manuscrits, Français 112 (1) fol. 101


Dans un pré sensé être rempli d’arbrisseaux, Lancelot, Genièvre et Galehot s'éloignent des autres personnages qui, tendant un œil et une oreille, font mine de discuter. Lancelot n’osant prendre l’initiative du baiser, Genièvre lui prend le menton et lui donne un long baiser devant Galehot.

Image ----------------- Image

Yannick Carré dans son Le baiser sur la bouche au Moyen-âge, Éditions Le Léopard d’Or, 1992, 437 pages, retrace pages 68 à 70 ce baiser qui, au fil du temps et des illustrateurs, deviendra de plus en plus proche et évident.

L’auteur compare et s’interroge sur les différentes illustrations ci-dessus : les différences de fond (uni/quadrillé), de paysage (absence ou présence d'éléments naturels : relief du sol, touffes d'herbe, arbres), l’éloignement des personnages, debout ou assis, leur tailles par rapport aux autres, la jambe dénudée de Lancelot...

L’élément merveilleux qui accompagne tous les romans de la Table Ronde, et en particulier le Lancelot, était tout à fait dans la mouture de la société courtoise. Nains, frêles demoiselles et fées d’une grande beauté, psychomachie-magie, combats singuliers à répétition en surnombre, qui durent où sont terminés en un clin d'œil contre des géants, lions ou autres animaux fantastiques ou exotiques à profusion jaillissant là où on ne les attendait pas, épreuves extraordinaires et les plus invraisemblables sur des passages sur ou sous l’eau, etc., enflammaient l’imagination et en faisait un cadre indispensable à rehausser et meubler la vie de ces héros ainsi que les décalages de leurs décors, châteaux, habits, armures... de leur temps dans une histoire qui devait se passer quelques siècles auparavant.

Troubadours et cours d'amour

Il est étonnant que Markale, dans ses égarements libidineux, n’ait pas fait une étude plus approfondie sur le Pont-du-Secret qui peut tout à fait se rattacher au monde de l’imaginaire arthurien. Ce pont n'a pas non plus retenu l'attention dans le livre Les ponts au Moyen Âge, par Danièle James-Raoul, Claude Thomasset, 2006, Presses Paris Sorbonne, 338 pages. Mais les auteurs médiévaux étaient tout aussi entendus que lus, copiés et recopiés, imités et traduits... Le Lancelot aurait fait l’objet de plus de cent manuscrits. Ce qui laisse un petit espoir.

Jacques Lafitte-Houssat, dans son "Troubadours et cours d'amour", Que sais-je ?, 1979, 127 pages, retrace une aventure sur autre pont par André le Chapelain, d'un chevalier de Bretagne qui n’est pas nommé et à qui est donné un baiser d’amour par une belle damoiselle dans la forêt. Sa quête de l'épervier destiné à la plus belle des dames le conduit à la cour d'Arthur. Mais en chemin l'attendent de nombreux défis :

— « Finalement parcourant une contrée aride et sauvage, il arriva à un fleuve d’une largeur et d’une profondeur incroyable, […] il parvient à un pont qui était disposé de la façon suivante : le pont lui-même était en or et ses deux extrémités tenaient bien aux deux rives, mais le milieu du pont se trouvait dans l’eau et, vacillant souvent, paraissait comme submergé par les flots. A l’extrémité par où arrivait le Breton, se trouvait un guerrier à cheval, d’un aspect féroce. »

De arte amundi

La sanction d'Arthur fut de condamner pour adultère Guenièvre au bûcher, mais elle finit sa vie dans un couvent ou monastère.

Plus directement aussi, le secret du pont peut probablement amener à une autre tradition qui est celle de l’existence de ces "tribunaux d’amour", assemblées d’un grand nombre de femmes mariées qui se réunissaient pour juger et réglementer l’adultère en Règles et Cours d’Amour et qu’André le Chapelain détaille dans son De arte amundi (De l’art d’aimer), manuscrit du XIVe siècle. Tribunaux féminins, plus sévères que redoutables, dont trente et une règles constituaient leur Code des Cours des Dames, et qui se prononçait sur l’infidélité ou l’inconstance des amants, sur les trivialités, rivalités, rigueurs ou caprices de leurs dames, des questionnements : l’amour peut-il exister entre gens mariés ?...

J. Lafitte-Houssat, dans son "Troubadours et cours d'amour", Que sais-je ?, 1979, 127 pages, p. 118, a écrit:
Mais dans le cas où le mari était au courant, l’amour courtois se devait de garder son caractère furtif, le secret et le mystère étaient une règle essentielle ; sans eux il n’y a pas d’amour véritable. Aussi les troubadours promettent-ils tous la discrétion absolue à la belle dont ils espèrent un peu d’amour.

Les règles d’ANDRÉ LE CHAPELAIN insistent à maintes reprises sur ce secret, dont la violation entraîne la privation d’amour :

« Tous les amants sont tenus de conserver secret leur amour.

« S’ils soumettent leurs litiges au jugement des Dames, leurs noms ne doivent jamais être indiqués aux juges, mais seulement révélés une fois que le procès est terminé.

« S’ils se servent de lettres pour communiquer entre eux, qu’ils s’abstiennent de mettre leur nom. Dans ces lettres, ils ne doivent pas mettre leur sceau, à moins qu’ils en aient un qui soit connu seulement d’eux et de leur confident. »

Image Gérard Lomenec'h, dans son Aliénor d’Aquitaine et les troubadours, Éditions Sud-Ouest, 1997, 190 pages, p. 83-4, reprend les aventures de ce chevalier breton chargé de ramener à la cour du roi un faucon et le code amoureux via le périlleux passage de cet autre « pont-sous-l’eau » par lequel il est, possible d’entrer mais avec grandes difficultés au Royaume d’Amour.

Sur une perche d’or, où veillait le faucon, était accroché à une petite chaîne d’or un parchemin où était écrit les XIII préceptes du cœur :

« Le mariage n’est pas une excuse contre l’amour.
Qui ne sait celer (1), ne peut aimer. […]
« Tout amant ne doit désirer d’autres baisers que ceux de sa maîtresse. […]
« Rien n’empêche qu’une femme ne soit aimée de deux hommes, ni qu’un homme soit aimé de deux femmes.


1 - Qui ne sait sceller (cacher ou garder le secret), ne peut aimer.

Re: Pont du secret

MessagePosté: Dim 22 Juin, 2014 22:37
de Aliénor
Magnifique, ejds.

J'aurais voulu répondre à la question par: c'est celui que tout le monde connait [le pont] car sans secret, personne ne sait où il se trouve...

Cordialement Vôtre