Régis Le Gall-Tanguy a écrit:Pour revenir sur les cas de Corseul et Carhaix je pense qu'il faut relativiser l'idée de leur déclin au Bas-Empire. On ne peut affirmer que ces agglomérations furent désertées. J'ai présenté plus haut quelques arguments pouvant attester d'une possible continuité d'occupation des lieux au haut Moyen Age.
Je partage cette analyse. J'aurai l'occasion de présenter mes hypothèses lors de la prochaine journée du CIRDoMoC (juillet 2010) dans une communication intitulée "Corseul, Carhaix et l'activité métropolitaine de Perpetuus de Tours : archéologie, liturgie et canons conciliaires (Ve siècle)".
En ce qui concerne le Yaudet, je pense qu'il faut abandonner l'idée d'un ancien chef-lieu d'évêché. La vita IIIa de Tugdual, composée au début du XIIe siècle, est le premier document à y faire allusion (si du moins on considère les évocations qui y sont faites dans la IIa comme des interpolations). Son auteur indique au § 6 qu'un siège épiscopal fut installé à Tréguier après la destruction de Lexobie (ad locum qui Vallis Tregor dicitur veniens, magnum aedificavit monasterium […]. Ex quo tamen Lexoviensis destructa est civitas, sedes episcopatus usque in hodiernum diem ibidem consistit). Ces indications sont trop tardives et présentent bien trop de confusions pour être prises au sérieux.
L'oppidum du Yaudet fut incontestablement un site d'importance dans l'Antiquité tardive et au haut Moyen Age. Les fouilles qui y ont été menées le prouvent. De là à y voir un ancien chef-lieu d'évêché et même une capitale de cité il y a un pas difficile à franchir.
Excusez moi Régis mais, comme je l'ai écrit plus haut dans ce fil de discussion, la
Lexoviensis urbs figure déjà dans la
vita moyenne de Tugdual (celle qui est désignée ordinairement comme la seconde
vita du saint). Ceci étant, dans la version de ce texte conservée par le vieux bréviaire de Saint-Brieuc, la
Lexoviensis urbs est explicitement située en Neustrie (
Lexoviensem urbem in pago Neustriae sitam revisit ac postea ad prefatam ecclesiam venire festinavit in qua Domino fideliter ministravi) et renvoie indiscutablement à Lisieux. Il n’est d'ailleurs nullement question d’un siège épiscopal déjà établi en Trégor, que Tugdual aurait rallié : il faut donc simplement comprendre que Tugdual, sur le chemin de son retour de Paris vers Tréguier, s’est détourné par Lisieux (
revisit). Ainsi cette version rend-elle compte de plusieurs traditions distinctes que l’hagiographe a juxtaposées. Sans doute, une de ces traditions présentait-elle Tugdual comme un saint personnage honoré à Lisieux, où il aurait été inhumé : c’est pourquoi l’auteur de la
vita moyenne a cru bon de répondre explicitement aux objections de ceux qui
in civitate Lexoviensi eum obiisse dicebant. A. de la Borderie pensait qu’il s’agissait d’une nouvelle interpolation du texte original de cette
vita ; alors que la précision donnée par l’hagiographe est au contraire la confirmation de ce que la c
ivitas Lexoviensis à laquelle il fait allusion est évidemment différente de l’évêché de Tréguier et ne peut pas non plus être le supposé
*Lexovium (le Yaudet) qui lui aussi appartient incontestablement au territoire diocésain.
Sans doute y avait-il eu au moins deux saints Tugdual ; mais raconter l’existence de chacun d’eux comme s’il s’agissait des épisodes de la vie d’un seul et même personnage permettait effectivement à l’hagiographe d’utiliser les anecdotes qui avaient cours à Lisieux. Ainsi lui était-il possible de donner plus de relief à la geste du saint que la tradition bretonne disait avoir fondé le "grand monastère" de Tréguier et dont les antécédents sont d’ailleurs plutôt à rechercher du côté de la Cornouaille. En tout cas, et il me faut ici infléchir quelque peu les conclusions auxquelles j'étais précédemment arrivé, il n’est nullement certain que l’auteur de la
vita moyenne, même et surtout s’il s’agissait de l’évêque Martin comme le suggère H. Guillotel, ait cherché à capter au profit de Tréguier le lustre attaché à la carrière d’un prélat qui aurait occupé le siège épiscopal d’une ancienne civitas. D’une part, en effet, l’évêque Martin avait choisi, quant à lui, de s’intituler "évêque des Osismes" (
episcopus Auximorum) : s’il convient de reconnaître en lui l’hagiographe, ce choix, qui le mettait en compétition avec les évêques de Léon, montre à l’évidence qu’il n’était pas question pour lui d’une "récupération" directe de l’épiscopat de Tugdual à Lisieux, auquel cas il eût fait évidemment référence dans sa propre titulature à la
civitas Lexoviensis. D’autre part, il n’est nullement avéré que le saint Tugdual qui était peut-être honoré à l’époque à Lisieux eût occupé le siège épiscopal du lieu (je ne partage pas à c propos l'identification de Tugdual avec Theudobaldus, aliasTheudobaudis (*), etc., proposée par Patrice Lajoye), ni même qu’il eût jamais été évêque : d’ailleurs l’auteur de la
vita moyenne fait montre sur toutes ces questions d’une discrétion remarquable.
(*) voir
catalogue épiscopal de LisieuxBien cordialement
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