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Re: Cités armoricaines au Vième siècle.

MessagePosté: Jeu 28 Jan, 2010 10:58
de Agraes
Galliou et Cunliffe proposaient qu'un établissement monastique ait remplacé la forteresse du Yaudet au courant du VIe siècle, jusque vers le Xe siècle. En 200 ans il est possible que la tradition ait conservé le nom du monastère, alors que sur le plateau supérieur s'était établi un simple village médiéval avec sa chapelle.

Re: Cités armoricaines au Vième siècle.

MessagePosté: Jeu 28 Jan, 2010 12:42
de Régis Le Gall-Tanguy
Merci à tous, on en sort ! Je vais essayer de répondre aux trois messages les plus récents afin d'aider à relancer la machine.


Pour DT, oui le site de l'Inventaire est utile pour le néophyte qui trouvera un rapide résumé de nos connaissances archéologiques sur le Yaudet.

Pour la remarque de Sedullos c'est bien possible. Si quelqu'un à la Légende la mort ou une autre oeuvre d'A. le Braz à portée de main qu'il vérifie (cela nous éloignerait un peu du sujet mais si ça peut nous aider à passer à autre chose ...).

Je m'étendrais un peu plus sur l'intéressante observation d'Agraes puisque j'ai déjà un peu réfléchi à cette question .

Lorsque que ce dernier indique "qu'en 200 ans il est possible que la tradition ait conservé le nom du monastère, alors que sur le plateau supérieur s'était établi un simple village médiéval avec sa chapelle" je suppose qu'il fait référence à la traduction, proposée par certains chercheurs, du nom latin civitas en "monastère".
Il s'agit d'une hypothèse émise par L. Fleuriot dans un article sur le Yaudet paru, je crois, en 1955. Elle a pour base un rapprochement avec des passages de vitaes irlandaises où le mot civitas aurait le sens d'établissement monastique (je dis 'aurait" puisque je n'ai pas analysé les vitae en question).
Je doute cependant de la justesse de cette proposition. Le mot civitas apparait dans autres textes hagiographiques bretons sans jamais avoir, me semble-t-il, le sens supposé.
A.-Y. Bourgès a déjà cité les deux vitae de saint Malo qui qualifient ainsi Alet. Le mot semble être généralement associé à des agglomérations romaines devenues sièges d'évêché. Traduire le nom du Yaudet (forme bretonne de civitas) par "monastère" créerait un cas unique et les cas uniques me paraissent toujours un peu suspect...
Si l'on veut vraiment chercher dans la toponymie un indice pouvant corroborer l’hypothèse de P. Galliou et B. Cunliffe sur la fonction de l’éperon au haut Moyen Age (un monastère justement), je serais peut être davantage convaincu par une interprétation du nom Ploulec’h (la paroisse dans laquelle se situe l’oppidum) en « paroisse du monastère ». Ploulec’h c’est plebs loci en latin or on sait que le terme locus était souvent associé aux établissements monastiques. Sans autre indice, cette hypothétique interprétation (qui est de mon seul fait précisons le) ne vaut pas grand-chose. Les arguments archéologiques sur lesquels se sont basés B. Cunliffe et P. Galliou pour identifier le Yaudet avec un monastère sont plutôt faibles (mais ce n’est que mon avis).

Re: Cités armoricaines au Vième siècle.

MessagePosté: Jeu 28 Jan, 2010 12:50
de Sigul
Bonjour,

Voici matière à réflexion :

http://marikavel.org/bretagne/ploulech/accueil.htm

utiliser les liens internes.

Photos sous copyright

Zig

Re: Cités armoricaines au Vième siècle.

MessagePosté: Jeu 28 Jan, 2010 12:57
de bregwenn

Re: Cités armoricaines au Vième siècle.

MessagePosté: Jeu 28 Jan, 2010 13:08
de Sedullos
JCE a écrit:Dans le cadre d'une autre recherche en réponse à Robin, j'ai en effet retrouvé la référence de la Ville d'Is aux Sept Iles (Perros-Guirec).

Il s'agit d'une courte mention faite par Anatole LE BRAZ, Légendes de la mort, Les villes englouties :

" La ville d'Is s'étendait de Douarnenez à Port-Blanc. Les Sept-Iles en sont des ruines. La plus belle église de la ville s'élevait à l'endroit où sont aujourd'hui les récifs des Triagoz. c'est pourquoi on les appelle encore Trew-gêr.

Dans les rochers de Saint-Gildas, quand les nuits sont claires et douces, on entend chanter une sirène, et cette sirène, c'est Ahès, le fille du roi Gradlon.

Quelquefois aussi, des cloches tintent au large. Il est impossible d'ouïr un carillon plus mélodieux. C'est le carillon des cloches d'Is."

****************

" Un des quartiers de la ville s'appelait Lexobie. Il y avait dans Is cent cathédrales et, dans chacune d'elles, c'était un évêque qui officiait.

Quand le ville fut engloutie, chacun garda l'attitude qu'il avait et continua de faire ce qu'il faisait au moment de la catastrophe. Les vieilles qui filaient continuent de filer. Les marchands de drap continuent de vendre la même pièce d'étoffe aux mêmes acheteurs. Et cela durera ainsi jusqu'à ce que la ville ressucite et que ses habitants soient délivrés".

JC Even

Re: Cités armoricaines au Vième siècle.

MessagePosté: Jeu 28 Jan, 2010 13:31
de Pierre
Sigul a écrit:Bonjour,

Il est heureux que l'information ne soit pas monopolisée par un seul forum.

Le Vellave pourra ainsi apprécier les diverses propositions qui lui sont faites.

Il est illusoire de prétendre expliquer des questions du VIè siècle par des erreurs survenues au XIIè.

Il n'y a vraiment pas lieu de se réjouir de ces erreurs, ni encore moins de les fêter. Cela s'appelle l'apologie de la désinformation.

Dommage de voir des personnes cultivées s'y prêter.

Zig


Réponse bien évasive mon cher Sigul. Ou puis-je me permettre, dans ma grande perfidie, de t'appeler Seagull ? :lol:

@+Fourbos

Re: Cités armoricaines au Vième siècle.

MessagePosté: Jeu 28 Jan, 2010 14:07
de Sigul
Salut Fourbos,

N'as tu jamais été à la pêche aux anguilles ?

Il y en a qui savent cependant comment les attraper.

Les goélands, eux, savent comment le faire.

Faut pas rigoler avec ces oiseaux là. C'est pas comme les morskoulls, oiseaux plongeurs, qui plongent dans n'importe quoi, sans s'en rendre compte, et qui ressortent revêtus de ce dans quoi ils ont plongé.

Sans rancune.

Zig :wink:

Re: Cités armoricaines au Vième siècle.

MessagePosté: Sam 13 Fév, 2010 14:27
de Agraes
Régis Le Gall-Tanguy a écrit:Je m'étendrais un peu plus sur l'intéressante observation d'Agraes puisque j'ai déjà un peu réfléchi à cette question .

Lorsque que ce dernier indique "qu'en 200 ans il est possible que la tradition ait conservé le nom du monastère, alors que sur le plateau supérieur s'était établi un simple village médiéval avec sa chapelle" je suppose qu'il fait référence à la traduction, proposée par certains chercheurs, du nom latin civitas en "monastère".
Il s'agit d'une hypothèse émise par L. Fleuriot dans un article sur le Yaudet paru, je crois, en 1955. Elle a pour base un rapprochement avec des passages de vitaes irlandaises où le mot civitas aurait le sens d'établissement monastique (je dis 'aurait" puisque je n'ai pas analysé les vitae en question).
Je doute cependant de la justesse de cette proposition. Le mot civitas apparait dans autres textes hagiographiques bretons sans jamais avoir, me semble-t-il, le sens supposé.
A.-Y. Bourgès a déjà cité les deux vitae de saint Malo qui qualifient ainsi Alet. Le mot semble être généralement associé à des agglomérations romaines devenues sièges d'évêché. Traduire le nom du Yaudet (forme bretonne de civitas) par "monastère" créerait un cas unique et les cas uniques me paraissent toujours un peu suspect...
Si l'on veut vraiment chercher dans la toponymie un indice pouvant corroborer l’hypothèse de P. Galliou et B. Cunliffe sur la fonction de l’éperon au haut Moyen Age (un monastère justement), je serais peut être davantage convaincu par une interprétation du nom Ploulec’h (la paroisse dans laquelle se situe l’oppidum) en « paroisse du monastère ». Ploulec’h c’est plebs loci en latin or on sait que le terme locus était souvent associé aux établissements monastiques. Sans autre indice, cette hypothétique interprétation (qui est de mon seul fait précisons le) ne vaut pas grand-chose. Les arguments archéologiques sur lesquels se sont basés B. Cunliffe et P. Galliou pour identifier le Yaudet avec un monastère sont plutôt faibles (mais ce n’est que mon avis).


J'ai récemment terminé la lecture du rapport de fouille d'Alt Clut ou Clyde Rock à Dumbarton en Ecosse, l'ancienne forteresse des Bretons du nord occupée du Ve au IXe siècle et siège des rois de l'Alt Clut (devenu par la suite Strathclyde). L'auteur Leslie Alcock évoque plusieurs mentions de la forteresse dans les écrits de Bède le Vénérable au VIIIe siècle, en tant que civitas Brettonum munitissima et urbs. C'est aussi le cas de Bamburgh, forteresse royale des Angles de Bernicie, qualifiée in urbe regia et in regia civitate. Alcock insiste que ces termes ne sont pas à prendre dans le sens latin classique mais plus dans l'optique de centres politiques majeurs.
Bamburgh et Alt Clut étant deux forteresses royales extrêmement bien défendues, sur des sites côtiers, avec une activité "industrielle" (travail du bronze et du fer entre autres) et pour Alt Clut commerçant avec la Méditerranée puis la Gaule. Le parallèle entre Alt Clut et le Yaudet est encore plus significatif puisque les deux sont situées à l'embouchure d'un estuaire, contrôlant respectivement la Clyde et le Léguer. On a également retrouvé quelques tessons de céramiques méditerranéennes et mérovingiennes au Yaudet. Bien sur les deux sites même appartenant à une "culture brittonique" sont très éloignés l'un de l'autre mais sont à peu près contemporains. Sans en vouloir tirer trop de conclusions il y a peut être là une piste à explorer, envisageant le Yaudet au Haut Moyen Age comme un site de pouvoir, un habitat d'élite dans la lignée d'Alt Clut, Tintagel, Dinas Powys et bien d'autres en Grande-Bretagne.

Le rapport de fouille de Leslie Alcock est disponible ici :
http://ads.ahds.ac.uk/catalogue/adsdata ... 95_149.pdf

Re: Cités armoricaines au Vième siècle.

MessagePosté: Mer 17 Fév, 2010 22:59
de Régis Le Gall-Tanguy
J’avoue être très séduit par les rapprochements proposés par Agraes. Il faut dire que je suis arrivé de mon côté à des conclusions similaires.

L’occupation du Yaudet me semble correspondre à une situation relativement courante au haut Moyen Age : la mise en valeur d’un lieu naturellement fortifié et anciennement occupé.

De nombreux travaux montrent l’intérêt des hommes de ce temps pour ce genre ce site. Agraes cite avec raison les exemples de Tintagel, Dinas Powys ou Dumbarton Castel : des centres de pouvoir des dark ages britannique. Ce type d’installation ne me paraît toutefois pas spécifique au "monde breton". De nombreux habitats de hauteur fortifiés sont répertoriés dans l’ancienne Gaule notamment dans le sud. Les études de G. Fournier (pour l’Auvergne ), L. Schneider (pour la Provence et le Languedoc) et bien d’autres sont édifiantes. Il existe dans ces régions plusieurs exemples d’aménagement ou de réaménagement de sites occupant des positions avantageuses pour la construction de forteresses. Ces installations, qui pouvaient prendre des formes assez différentes , étaient souvent des centres de subdivisions administratives (pagus, vicaria, etc.) . On l’a peu remarqué jusqu’ici mais il existe des constructions du même type plus au Nord. L. Bourgeois l’a récemment mis en valeur pour le Poitou et il me semble évident que la Bretagne n’échappe pas au phénomène. Les travaux de J.-C. Meuret, N.-.Y Tonnerre ou M. Brand’Honneur ont souligné l’importance vraisemblable à la période alto-médiévale de sites de hauteur comme Machecoul, Fougères, Vitré, Castennec en Bieuzy, Rieux, etc. La réoccupation au haut Moyen Age de l’oppidum du Yaudet est donc, selon moi, loin d’être un cas isolé.

A la période qui nous intéresse, l’éperon barré trégorois devait avoir des fonctions proches de celles des installations fouillées en Grande-Bretagne ou dans le midi : celles d’un centre politique et économique majeur. La découverte d’éléments de parure (une bague et un ferret de cuivre ) montre que ses occupants (ou en tout cas une partie d’entre eux) étaient plutôt aisés et la mise au jour de céramiques E ware et de fragments d’amphores LR2/bi (qui semblent toutefois appartenir à une phase antérieure à celle du supposé monastère) laissent penser que la place avait un rôle dans les échanges commerciaux.

P. Galliou et B. Cunliffe interprètent les aménagements identifiés comme les vestiges d’un établissement monastique mais je doute de cette hypothèse.

Leur idée repose sur deux arguments fragiles :

-Le premier est la division du site entre une zone cultivée et une zone ecclésiale. Cette situation rappellerait celle de nombreuses abbayes irlandaises. Les fouilleurs citent notamment les cas de Shrule (comté de Mayo) et Clonard (Comté de Meat) . L’isolement des sanctuaires n’est cependant pas caractéristique des installations monastiques. Les zones ecclésiales sont des espaces privilégiés et sont, par conséquent, fréquemment séparées du reste de l’habitat .
- Le second est l’évocation du site dans le dossier hagiographique Tugdual. Les fouilleurs voient dans la légende faisant du Yaudet le siège primitif de l’évêché de Tréguier un lointain écho des fonctions religieuses originelles du lieu . Le problème, on l’a dit est que cette histoire semble être une création de l’auteur de la vie longue de Tugdual au XIIe siècle.

Si l’on cherche vraiment dans les textes un indice sur la fonction initiale du Yaudet, il me paraît plus intéressant de relever le passage de la vita Euflami parlant du « tyran de la cité » Cette évocation du possible passé aristocratique du lieu paraît autrement plus claire et donc, à notre sens, plus « crédible » que celle d’un supposé monastère dans la vita IIIa de Tugdual. Il y a peut être dans ce récit un souvenir déformé des fonctions politiques du site. Je rappellerais pour terminer que B. Tanguy a récemment supposé que le pagus castelli devait son nom au Yaudet . L’hypothèse est intéressante : si elle est juste elle apporterait la preuve de l’influence exercée par le site sur le territoire qui l’environnait au haut Moyen Age .
Voilà qui nous amène une nouvelle fois dans le domaine de « l’hypothèse hypothétique » mais c’est bien l’intérêt de ce genre de sujet.
P.S. : Merci à Agraes pour le lien.

Re: Cités armoricaines au Vième siècle.

MessagePosté: Jeu 18 Fév, 2010 19:49
de Agraes
Concernant Tintagel c'est encore une fois un parallèle intéressant, le site ayant été considéré longtemps comme un monastère suite aux premières fouilles de Radford dans les années 30 ou 50 (?). La nouvelle campagne de fouilles des années 90 a complétement changé la perception de ce site, qui est apparu depuis comme un habitat d'élite, sinon royal, primordial en ce qui concerne le commerce avec la Méditerranée à la fin du Ve et au VIe siècle, compte tenu des concentrations très importantes de tessons de céramiques retrouvés sur place. Ewan Campbell a étudié en profondeur les réseaux commerciaux entre les Iles Britanniques, la Méditerranée puis la Gaule du Ve au VIIIe siècle. Il a proposé que les denrées exotiques étaient ensuite redistribués aux clients du potental local, clients qui eux-même fournissaient une partie des denrées vouées à l'exportation, particulièrement l'étain en ce qui concerne la péninsule du Cornwall-Devon.

A noter également que les denrées probablement importées (vin, huile, vaisselle en verre et en céramique) conviendraient plus selon Campbell et d'autres au mode de vie des aristocrates insulaires qu'à une fonction liturgique. Les monastères - à l'exception notable de Whithorn en Ecosse - n'ont pas livré de quantités abondantes de céramique ou de verrerie, les spécialistes en ont déduit que les denrées exotiques n'y arrivaient que de manière secondaire après redistribution.

Les sites bretons continentaux n'ont par contre fourni que de maigres quantités de ces produits, à savoir des tessons de B ware (ou Late Roman Amphora) au Yaudet et à l'Ile Lavret, de E ware (céramique gauloise) à Guissény et au Yaudet, et du verre au Yaudet.
Campbell considère ces découvertes bretonnes comme des redistributions à partir de sites insulaires, ou le résultat de cargos égarés. Il est difficile d'en dire plus à l'heure actuelle. On remarquera le manque d'habitats d'élite clairement identifiés et fouillés avec des méthodes modernes concernant les V-VIIe siècles en Basse-Bretagne. Peut-être de futures découvertes permettront des analyses plus sûres.

En complément sur ces commerces, voir :
Ewan Campbell, Continental and Mediterranean Imports to Atlantic Britain and Ireland AD 400-800, Council for British Archaeology, 2007.

Résumé en français par ici :
http://schnucks0.free.fr/forum/viewtopi ... =39&t=1134

Base de données et annexes de l'ouvrage accessibles sur le site de l'Archaeological Data Service :
http://ads.ahds.ac.uk/catalogue/archive ... N=81675585

Merci Régis pour votre contribution !

Re: Cités armoricaines au Vième siècle.

MessagePosté: Dim 13 Aoû, 2017 15:54
de Jacques
Un article datant d'il y a un an, et qui complète ce sujet sur Tintagel :
Des vestiges royaux découverts à Tintagel, lieu de naissance du Roi Arthur selon la légende.