Salut,
Pour ma part, j'en étais restée à la traduction publiée par Henri d'Arbois de Jubainville (L’épopée celtique en Irlande, 1892, Paris, Thorin), qui faisait déjà le rapprochement avec Diodore.
Donc tout commence par un festin organisé par le perfide Bricriu pour les Ulates, et tout est fait pour que ceux-ci se bagarrent. Bricriu notamment s'éclipse alors que le repas vient de commencer, en disant: « Ici, le morceau du héros, tel qu’il a été préparé, n’est pas le morceau du héros d’une maison de fou. Vous le donnerez à celui qui vous paraîtra le meilleur des guerriers Ulates ».
Trois héros vont donc se disputer cette part: Loegaire, Conall, Cuchulainn. Ils vont donc subir toute une série d'épreuves, et parmi celles-ci:
"Les trois guerriers arrivèrent chez Terrible [ces traductions de noms sont le fait de d'Arbois], à son lac ; des envoyés de Leblond les accompagnaient et les présentèrent. Ils racontent à Terrible pourquoi ils viennent le trouver. Terrible leur dit qu’il entreprendrait de les juger, si d’abord eux s’engageaient à se soumettre à sa sentence. « Nous nous y soumettrons », répondirent-ils. Il leur fit prendre avec lui un engagement solennel. « Il y a, dit-il ensuite, un marché que je vous propose, et celui d’entre vous qui l’acceptera aura le morceau du héros. – Quel est ce marché ? demandèrent les trois guerriers. – J’ai une hache, dit-il, qu’un de vous la prenne en main et me coupe la tête aujourd’hui, moi je lui couperai la tête demain. »
Conall et Loegaire dirent qu’ils ne feraient pas ce marché-là ; ils n’avaient pas, disaient-ils, le pouvoir de rester vivants après avoir eu la tête coupée ; à lui seul appartenait cette faculté. Conall et Loegaire refusèrent donc le marché. Cependant il y a des livres où il est dit qu’ils acceptèrent le marché, que Loegaire coupa la tête du géant le premier jour, mais ne revint pas le lendemain se la faire couper, et que Conall agit de même. Cuchulainn dit qu’il acceptait le marché si on devait lui donner le morceau du héros. Conall et Loegaire déclarèrent qu’ils lui laisseraient le morceau du héros s’il faisait le marché avec Terrible. Cuchulainn obtint d’eux l’engagement solennel de renoncer à lui contester le morceau du héros s’il faisait avec Terrible le marché dont il s’agissait. Le marché est conclu entre Cuchulainn et Terrible. Terrible, après avoir fait sur le tranchant de sa hache une incantation, met sa tête sur la pierre devant Cuchulainn ; Cuchulainn, prenant la hache du géant, le frappe et lui coupe la tête. Puis Terrible partit et plongea dans le lac, tenant d’une main sa hache, de l’autre sa tête sur la poitrine.
Cuchulainn revient le lendemain au rendez-vous, et s’étend devant Terrible sur la pierre. Celui-ci abaisse trois fois la hache sur le cou et le dos du brave. « Lève-toi, Cuchulainn, dit-il, à toi la royauté des guerriers d’Irlande et le morceau du héros, personne ne peut te le contester ».
Par la suite, j'avais noté dans mon petit article:
On remarquera que Posidonios disait : après avoir reçu de l'argent ou de l'or, ou même un certain nombre de cruches de vin ; or, dans le Festin de Bricriu, avant le passage de la décapitation, lors d’une des épreuves visant à distinguer le meilleur guerrier d’Irlande, la reine Mebd donne a chacun des trois concurrents une coupe remplie de vin. Pour Cuchulainn, qu’elle sait être le meilleur, cette coupe est d’or. Le récit irlandais comprend tout de même quelques divergences par rapport au texte de Posidonios : pour l’auteur grec, il n’est pas question de défi, lors de la mort du guerrier gaulois. De même on lui tranche la gorge mais il n’est pas dit qu’on lui coupe la tête. Toutefois on sait par ailleurs ce que les Gaulois faisaient des têtes des valeureux guerriers. La décapitation est donc ici sous entendue. Le passage de Posidonios est donc probablement ni plus ni moins qu’une version archaïque et déformée d’une légende celte.
A+
Patrice