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Re: Coup de théâtre à Corent

MessagePosté: Mer 20 Fév, 2013 11:39
de Adcanaunos
Bonjour,
Plus plausible à mon sens, l'interprétation extensive de la racine -vern par X. Delamarre : désignant l'aulne, espèce caractéristique des milieux humides, elle signifie aussi dans certains contextes "marais" ou "marécages" et s'appliquerait parfaitement au paysage de la Basse Auvergne, où se concentre l'essentiel des agglomérations et pôles de pouvoir entre le IIIe et le Ier s. av. J.-C. Des agglomérations perchées (Gergovie, Corent) ou nichées dans la plaine (Aulnat-Gandaillat, Gondole), en périphérie (are-) d'une vaste dépression humide et marécageuse appelée "Lac de Sarliève", asséché à l'époque de César...

Re: Coup de théâtre à Corent

MessagePosté: Mer 20 Fév, 2013 11:48
de jibe
Très possible. L'aulne a beaucoup régressé aujourd'hui mais il était abondant à l'époque gauloise et gallo-romaine, notamment pas loin de Corent : là où l'on a trouvé au 19ème siècle des corps de gauloises momifiées, dans la plaine des Martres-de-Veyre. Elles sont conservées au musée Bargoin, à Clermont-Ferrand. Comme l'osier, les branches flexibles de l'aulne pouvaient être tressées facilement pour faire des boucliers légers et résistants.

Re: Coup de théâtre à Corent

MessagePosté: Mer 20 Fév, 2013 19:00
de etnos
Bonjour Adcanaunos, Bonjour Jibe,

Ecologie de l’aulne
L’aulne est un agent écologique essentiel des « ripisylves ». Il possède sur ses racines des mycorhizes qui fixent l’azote. Elles ont besoin de l’oxygène qui manque souvent dans les marais. Pour les troncs, l’aulne fait de belles futaies. Quant à la couronne de l’arbre, elle s’arrange en arc de cercle, si on insiste lourdement, en voûte céleste. Encore aujourd’hui, en phytosociologie, une association végétale caractérisée par l’aulne recevrait logiquement le nom latin savant d’Alnetum, collectivité d’aulnes, français aulnaie.

Aulne dans l’antiquité
Dans sa description du bois sacré près de Marseille détruit par ordre de César, Lucain énumère plusieurs arbres dont « l’arbre de Dodone, l’aulne, ami des eaux ». L’aulne entrait donc dans la composition du bois sacré des Salyens aussi bien que dans celle du bois sacré de Dodone qui entourait le chêne oraculaire de Zeus.

Hypothèse
Les Arvernes se posaient en pratiquants du bois sacré d’aulnes. Pour eux, il était essentiel de se positionner « Are-». Plus précis que « à la périphérie », cela doit signifier « devant », c'est-à-dire pour eux « orienté à l’Est » des aulnes. Corollaire : toutes leurs capitales devaient justifier le nom de l’ethnie, c'est-à-dire probablement se situer à l’Est d’un bois sacré d’aulnes.

Testage
1. Ville primitive
Je vois le marais proprement dit assez anoxique couvert de roseaux et bon à drainer pour la mise en culture ; et les aulnes au bord des eaux vives (aérées) qui traversaient les marais et dont les rives étaient plus agréables aux habitants. Gandaillat est à l’Est de la boucle de l’Artière (latin arteria). De même, il semble que le sanctuaire du Brézet fouillé par Mathieu Poux se trouve à l’Est de la Tiretaine, Dordanie (1472), nom prégaulois (actuellement canalisée en souterrain). Quant à Aulnat, pour une fois, Dauzat n’y voit pas un homme latin qui s’appelait Alnus, mais le nom commun latin de l’aulnaie, Alnetum (ci-dessus). La position d’Aulnat au bord de l’Artière confirme qu’à l’époque antique, des aulnaies longeaient la rivière.

2. Corent
Le site ne se prête pas aux aulnaies. La Veyre est propice aux aulnes, mais un peu loin au Nord. Une analyse pollinique pourrait tester l’hypothèse d’un bois sacré (dont des aulnes ?), planté au bord du mini lac. Cf bois sacré de chênes à la source des Roches (glands jetés dans la source). Mais la ville n’est pas à l’Est du lac, donc en mauvaise position. On peut imaginer un bois sacré par exemple au sommet du puy de Corent, mais ce site ne serait pas conforme à l’écologie de l’aulne. Hiatus ?

3. Gondole : la ville est à l’Est de l’Auzon et du val d’Auzon, un paysage idéal pour des aulnaies. Rien du genre Are-alisanos dans les parages, mais la position de Gondole justifie de nouveau pleinement le nom des Arvernes.

4. Lac de Sarliève. Ils ont sauté par-dessus ? Les grandes lignes sont bien : première ville carrément au Nord de Sarliève ; déplacement à Corent carrément au sud de Sarliève ; création de Nemossos entre Corent et le Sud de Sarliève ?

Re: Coup de théâtre à Corent

MessagePosté: Jeu 21 Fév, 2013 8:26
de jibe
Très intéressant pour l'aulne et ses implications chez les Arvernes. L'aulne semble être encore présent près du petit lac et des falaises est du plateau (sources).
Par contre, le peuplement massif de Corent est antérieur (il a eu lieu au néolithique selon les fouilles de M. Poux) à toute grande agglomération qui se situerait à l'emplacement d'Augustonemetum ou proche de lui. Donc, si un transit de populations a eu lieu, c'est dans le sens Corent-Gondole-Aulnal (sud-nord) et non l"inverse.
Il est probable, comme l'a montré Daniel Romeuf, que l'emplacement du sanctuaire réponde à des considérations astrologiques
Quant au lac de Sarliève, son assèchement presque complet (les études paléo-hydrologiques le montrent) fut mené par les Gaulois eux-mêmes, bien avant l'époque césarienne, ce qui réduit à zéro sa possible existence près de la Gergovie officielle, sauf comme marécage.

Re: Coup de théâtre à Corent

MessagePosté: Jeu 21 Fév, 2013 11:05
de etnos
Je n’avais pas vu les 2 refs. Merci. Au sujet de la glose Arvernes = Ante Obsta(culum), citée par P.-Y. Lambert, le Gaffiot donne l’exemple suivant au verbe Obsto, « se tenir devant, faire obstacle … : Obstantia silvarum (Tacite), les obstacles qui se trouvent dans les forêts ».

S’il avaient voulu signifier bouclier, les Arvernes auraient pu utiliser le nom du bouclier, talos (Savignac), qui entre dans les noms d’hommes, plutôt que le nom d’un bois qui sert à fabriquer les boucliers,Vernos ? L’ « obstacle » pourrait être éventuellement cette ripisylve d’aulnes qui agirait comme rideau défensif (« palissade » d’arbres vivants + rivière). Mais la glose évoque seulement un obstacle physique, pas une interdiction religieuse d’entrer ou de traverser un bois sacré.

Re: Coup de théâtre à Corent

MessagePosté: Mar 26 Fév, 2013 17:36
de Jacques
Adcanaunos a écrit:Bonjour,
Plus plausible à mon sens, l'interprétation extensive de la racine -vern par X. Delamarre : désignant l'aulne, espèce caractéristique des milieux humides, elle signifie aussi dans certains contextes "marais" ou "marécages" et s'appliquerait parfaitement au paysage de la Basse Auvergne, où se concentre l'essentiel des agglomérations et pôles de pouvoir entre le IIIe et le Ier s. av. J.-C. Des agglomérations perchées (Gergovie, Corent) ou nichées dans la plaine (Aulnat-Gandaillat, Gondole), en périphérie (are-) d'une vaste dépression humide et marécageuse appelée "Lac de Sarliève", asséché à l'époque de César...

Nous avions déjà abordé le sujet de la position devant le marais à propos des différents Auvers. Les liens vers les différentes localités ne sont plus valides, mais il suffit de taper « Auvers » dans Google maps, par exemple.

Re: Coup de théâtre à Corent

MessagePosté: Mar 26 Fév, 2013 18:00
de etnos
Bonjour,

Aliso = aulne est toujours incertain, mais l’Auzon, *Alisanos, traverse Nemossos, la métropole des Arvernes, et borde à l’Est sa ville de Gondole. On dirait qu’un modèle gaulois place des villes capitales ou des sanctuaires à l’Est ou entre des rivières divinisées appelées *Alisa ou *Alisonna :

- L’ALAUZENE et L’AUZONNET confluent au site archéologique d’ARLENDE (ALLEGRE-les-Fumades, Gard), une agglomération gallo-romaine développée autour d’un sanctuaire des eaux. ALAUZENE, *Alis-ona ? Le nom D’ARLENDE se restitue *Arenemeton, « sanctuaire de l’Est ».

- ALESIA (Mandubiens) se trouve entre les vallées de L’OZE et de L’OZERAIN. La divinité Alisanos, dieu d’Alisia est attestée (ce site). OZE de *Alisa ? OZERAIN de *Alis-ara-inus?

S’il fallait mettre dans le nom propre de Gondole un nom commun gaulois de la ville, vous emploieriez dunum, durum, magos ou briga ? Même question pour Corent. A cause de la place devant le sanctuaire et du théâtre à Corent, je dirais que Corent est LE dunum de Nemossos et que Gondole est son durum.

Re: Coup de théâtre à Corent

MessagePosté: Mer 27 Fév, 2013 12:47
de jibe
Avec ou sans nom gaulois, il est évident que le plateau de Corent, siège du pouvoir financier et politique et lieu des réunions "populaires", et le port fortifié-zone industrielle de Gondole avaient un rôle complémentaire. Ils auraient donc pu bénéficier de la distinction dunum-durum. Mais nous ne saurons sans doute jamais quels étaient leurs noms véritables il y a 22 siècles.

Re: Coup de théâtre à Corent

MessagePosté: Mer 27 Fév, 2013 12:52
de Séléné.C
Hé non...
Les gaulois n'ont pas laissé de panneaux indicateurs à l'entrée de leurs villes


N'empêche que vos discussions sur le mot "averne", c'est passionant

Re: Coup de théâtre à Corent

MessagePosté: Lun 04 Mar, 2013 13:05
de etnos
Les Gaulois utilisaient la mémoire collective. Avantage : elle nous a transmis les noms oralement. Si nous les écrivons sur des panneaux, c’est notre façon de ne pas oublier. Exemples : en montant à Corennum, panneau « CORENT » ; en montant à Gergovia, panneau GERGOVIE. Il ne reste plus qu’à lire le bon panneau en allant à GONDOLE.

Troisième *Alisona au pied d’une capitale gauloise : à Rochelambert-Marcillac (43 St Paulien), l’oppidum vellave de l’indépendance est perché sur un interfluve entre la Borne et la Gazelle. Le vieux nom de la Gazelle : l’OUZON, Alzon (1356), Auzon, Auzoux, Ouzoux, Eauzon (1888) (J. Arsac, toponymie du Velay, 1991, p. 92).

L’OUZON prend sa source à Vazeilles-Limandre, pas loin de Fix-St Geneys, Fines des Arvernes et des Vellaves sur la ligne de partage des eaux entre la Loire et l’Allier. Le clan arverne voisin des Vellaves, centré sur Brioude, étendait son territoire depuis AUZON (43) et Craponne sur ARZON (43), un rotacisme de *ALZON, sur la limite départementale 63/43. Vraisemblablement, tous ces clans partageaient un dieu chtonien Alisos, incarné dans une rivière Alisona, qui garantissait les frontières entre leurs Pagi.

Re: Coup de théâtre à Corent

MessagePosté: Lun 04 Mar, 2013 13:13
de jibe
Des sources romaines et grecques ont décrit les routes gauloises d'avant la conquête comme comportant une signalisation des lieux sur des panneaux de bois. Il y avait donc bien des traces écrites de ces noms. Reste à savoir si les Romains les ont transcrits exactement ou à l'oreille, avec les déformations que cela implique.

Re: Coup de théâtre à Corent

MessagePosté: Mer 06 Mar, 2013 20:03
de Jacques
jibe a écrit:Des sources romaines et grecques ont décrit les routes gauloises d'avant la conquête comme comportant une signalisation des lieux sur des panneaux de bois.

Intéressant, mais d'où sort cette information ?

Re: Coup de théâtre à Corent

MessagePosté: Mer 06 Mar, 2013 21:46
de DT
Salut à tous,
Salut Jacques,
je sais, j'ai toujours un très mauvais humour, mais :
Image
A+

Re: Coup de théâtre à Corent

MessagePosté: Jeu 07 Mar, 2013 9:57
de jibe
Pour les panneaux (probables car le bois ne se conserve pas !), Christian Goudineau, dans un cours au Collège de France, a fait le tour de la question à propos de la lieue gauloise :
http://www.college-de-france.fr/media/christian-goudineau/UPL25165_cgoudineau.pdf

Re: Coup de théâtre à Corent

MessagePosté: Jeu 07 Mar, 2013 19:40
de Jacques
Ça reste vraiment une hypothèse, qu'aucun texte ne vient confirmer.