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Borgne, manchot et unijambiste

MessagePosté: Mar 05 Aoû, 2003 16:29
de Patrice
Salut à tous,

Lug est connu comme étant parfois borgne, manchot et unijambiste. Tel est toutefois la description que l'on peut aussi faire de sorciers et sorcières en Irlande.
Le fait d'être borgne est aussi un point que partage Lug avec Odin.
Je me demandais quels dieux indo-européens pouvaient avoir de tels attribus; je crois que je viens de trouver... chez les Tziganes, et dans un bouquin que j'avais chez moi depuis plusieurs années:
"Zanko, chef tribal. Tradtions, coutumes, légendes des Tsiganes Chalderash. Textes recueillis par le R. P. Chatard et présentés par Michel Bernard, 1959, Paris, Editions du Vieux Colombiers"
Dans ce livre, il y a un conte qui s'appelle Sunto Proroc et Sunto Ilia (ou la vocation du dieu de l'orage.
On y raconte l'histoire d'un paysan parti travailler, qui revient après plusieurs jours de voyage. Il croise au passage une troupe de Banga (démons? lutins? ), qui lui font croire que sa femme s'est remariée. L'homme arrive chez lui, voit un couple allongé sous un pavillon. De rage il tue l'homme et la femme puis rentre chez lui, où il trouve sa femme endormie! Celle-ci lui explique qu'il a été trompé et qu'il vient de tuer ses propres parents. Heureux, des pigeons lui donnent des plumes qui permettent de résusciter les parents. Et voici ce qui suit:
"Le père et la mère avaient écouté avec attention [les explications d'Ilia, le paysan]. Puis le père dit à son fils: "A cause de ta douleur et de ton amour, mon fils, demande-moi ce que tu voudras."
Alors Ilia bondit de joie. Il ne pleurait plus, il riait, son visage rayonnait, ses yeux lançaient des éclairs, sa chevelure étincellait comme les rayons du soleil.
"Je ne vous demande qu'une chose, mon père, dit-il, c'est que vous me donniez la foudre et votre pique, pour faire la chasse aux Benga qui ont voulu vous faire périr".
Proroc, le père, dit à Ilia: "Je te l'accorde, mon fils".
Ilia saisit la foudre et la pique et aussitôt partit en chasse contre les Benga.
Il était saisi d'une extrême ardeur. Il sautait par-dessus les nuages, il enjambait les montagnes. Il marchait sur la mer, il traversait l'espace, il volait dans le vent, rien n'arrêtait sa fougue.
Quand il voyait un Benga, il se précipitait à sa poursuite et le foudroyait de loin ou le transperçait de sa pique.
Chaque fois, une grande explosion accompagnée d'éclairs, emplissait la terre de frayeur. Alors les femelles avortaient, les femmes s'arrêtaient sur le chemin, se courbaient en deux et lâchaient leur foetus. De toutes parts des incendies s'allumaient. Mais rien ne pouvait ralentir l'ardeur d'Ilia"

Du coup, Proroc et sa femme, les parents d'Ilia, réflechissent à un moyen de limiter les dégats.
Par magie, Proroc ôte d'abord un bras à Ilia, mais cela ne suffit pas. Il lui enlève ensuite une jambe, puis, enfin, un oeil.

Voilà enfin un dieu céleste indo-européen borgne, manchot et unijambiste.
Maintenant, reste à savoir où les Tsiganes ont pu pêcher ce dieu, car une telle description est inconnue en Inde, leur patrie d'origine...

A+

Patrice

MessagePosté: Mar 05 Aoû, 2003 19:47
de Muskull
Bonsoir Patrice :)

Cela me fait penser aux Foimoré mais aussi à l'oeil de Shiva, en tout cas, c'est un symbole très archaïque.

En me basant sur mon analyse personnelle en symbolisme, j'y verrai un être à demi humain et à demi divin (cette partie étant invisible), la césure étant verticale bien sûr.

Le sens du conte traditionnel tzigane étant que la vision totale de la divinité est contraire à la vie (il ne peut plus y avoir de génération parce que quelque part elle n'est plus nécessaire).
Nous retrouvons ce shéma dans beaucoup de traditions, le héros étant semi homme et semi divin, Hercule par exemple. Mais aussi dans le thème des jumeaux célestes, l'un divin et l'autre mortel.

Kruta pense que Lug était un projet des druides des îles pour "unifier" la celtie, il est vrai qu'il est peu développé en gaules...
Je spécule que dans leur pensée, Lug n'était pas un dieu mais un humain parfait (fini quoi :lol: ), polytechnicien et habile dans toutes les castes, les jumeaux réunifiés en quelque sorte, unificateur donc et interlocuteur privilégié ami des hommes et intermédiaire d'avec le divin.
Une sorte de Mithra d'avant la lettre...
Quelques fragments de Dumezil semblent aller en ce sens mais pour Lug, c'est moi qui interprète :?

Mais là fait trop chaud :wink:

@ +

MessagePosté: Mer 06 Aoû, 2003 9:37
de Thierry
Une question un peu en marge mais qui me turlupine depuis assez longtemps.

Si Lug est peu présent en Gaule, comment se fait il que l'on trouve plusieurs traces de son nom dans la toponymie ?

A cet égard, il a même droit à un traitement de faveur......

Alors, alors... :roll: mais ça peut attendre la rentrée :wink:

MessagePosté: Mer 06 Aoû, 2003 14:36
de Marc'heg an Avel
Salut les borgnes !

En vrac, sans avis préconsu : avez-vous réfléchi aux Cyclopes ? ... qui ne voient que d'un oeuil, pour la bonne et simple raison qu'il n'en n'ont qu'un !

**************

A Thierry,

Un échange avait eu lieu, il y a deux ans, sur le forum Istorbreizh, sur le fait que LUGNASAD était, dans l'arithmétique du Calendrier, l'antipode de la saint Blaise, dieu au loup, représentant de la couleur noire, et donc de la Nuit.

Réprésentant des aveugles ??????????????????????????

Il en était ressorti plusieurs réflexions, dont :

- que la représentation du loup de saint Hervé, sur le Menez-Bré (Louargat / Pédernec 22540), n'était autre qu'un chien d'aveugle, c'est à dire celui qui permet de voir dans la partie sombre, là où les autres n'ont pas accès; (monde physique et monde phylosophique)

- que Blaise (en breton bleiz = le loup) n'est autre que l'expression du LUG d'hiver, l'autre, celui de Lugnasad, étant celui d'été.

Du reste, voir à Rome la fete des Lupercales, en plein coeur du mois de Février.

C'est peut-etre pour cela que Lug, bien que n'étant pas majoritairement continental, y est cependant présent en toponymie.

JC Even. Bleimor / loup de mer / le pirate :)

MessagePosté: Mer 06 Aoû, 2003 16:04
de Patrice
Salut,

Lug est très présent en Gaule: la preuve, on a compté près de 40 toponymes dérivés de ce nom (Lugdunum ou lugodurus). Jean-Paul Lelu et moi sommes en train de compléter un précédent travail de Christian Guyonvarc'h à ce sujet.

De même, dans les Pyrénées, on adore un "Hercule" Andossus, épithète qui signifie "A la main longue".

Les Lugoves sont connus en Suisse et en Galice, Lug lui même en Espagne.

Les Lugoves sont sans doute à l'origines des saints Lugle et Luglien honorés dans le nord de la France.

De même, on retrouve Lug sous le nom de Huccan dans la Vie de saint Hervé, et sous le nom de "Mille Métiers" dans la Vie de saint Martial de Limoges.

Bizarrement, ce dieu n'est pas connu en Gaule par des inscriptions. Je ne suis pas loin de penser que ce phénomène a une cause politique.

Pour revenir à mes Tsiganes, je ne vois toujours pas d'où ils peuvent tenir cette notion d'un dieu borgne, manchot et unijambiste, sachant que ce dieu n'existait pas en Inde.

A+

Patrice

MessagePosté: Mer 06 Aoû, 2003 16:11
de Gwyddion
Patrice a écrit:Pour revenir à mes Tsiganes, je ne vois toujours pas d'où ils peuvent tenir cette notion d'un dieu borgne, manchot et unijambiste, sachant que ce dieu n'existait pas en Inde.


Salut Pat,
Ne serait-il pas possible que les Tsiganes aient adopté ce dieu dans une autre région que l'Inde, lors de leurs multiples migrations ?

Ze Gwydd

MessagePosté: Mer 06 Aoû, 2003 20:07
de Muskull
Bonsoir :)

Je vais chercher ce texte de Kruta sur Lug.

Pour l'image symbolique du borgne manchot et unijambiste, il est tout a fait possible que Gwyd ait raison parce que les tziganes faisaient métier de conteur et de musiciens.

Par ailleurs, vulcain était boiteux et travaillait avec les cyclopes (forces élémentaires que l'on a assimilé un peu vite aux volcans).
Un des grands métiers manouches était celui de maréchal ferrand, de la soudure et de la réparation des outils ou récipients métalliques hors d'usage. Les arts du feu donc...

Pour l'ancienneté de leur voyage "occidental", l'historien persan Hamza d'Hispahan raconte la venue de 12000 Zott musiciens en Perse vers 1050.
Nous sommes au début de cette migration... :D

Mais je maintiens cette idée d'une symbolique de l'homme coupé de moitié de ses origines divines, cela est cohérent sans aller chercher une origine sémitique qui ne veux plus rien dire en histoire actuelle.

MessagePosté: Mer 06 Aoû, 2003 22:24
de mikhail
Gwyddion a écrit:Salut Pat,
Ne serait-il pas possible que les Tsiganes aient adopté ce dieu dans une autre région que l'Inde, lors de leurs multiples migrations ?
Ze Gwydd


Je penche fortement dans ce sens.
Sait-on le chemin qu'ils ont pris ?
L'Afghanistan, l'Iran ; mais ensuite il y a plusieurs possiblités :
- par l'Anatolie et le détroit du Bosphore, puis la Bulgarie ou la Roumanie, etc, le long du Danube ;
- par le sud du Caucase puis les plaines de Russie méridionale,
- voire même par le nord de la mer Caspienne.

Cela les fait traverser pas mal de pays indo-euopéens comme eux.
Toutefois, une remarque importante : l'incorporation d'un tel mythème doit correspondre à une "réalité", à une possiblité mythique ou épique, théologique si j'ose dire. Or l'absence de borgne, etc., en Inde pose problème (mais y a-t-il vraiment absence en Inde ?)

mikhail

MessagePosté: Mer 06 Aoû, 2003 23:31
de Fergus
Pour info, le saint des métallurgistes est Saint Eloi, qu'on appelle, dans mon Morvan éduen, saint Loy.
On raconte qu'il avait posé un écriteau devant son atelier de maréchal, disant (de mémoire) qu'il était le meilleur ouvrier du monde. Arrive ce bon Jésus qui, pour changer un fer à un cheval, ôte carrément la jambe du cheval, lui pose un nouveau fer, et remet la jambe à l'animal qui ne s'était aperçu de rien. Depuis ce temps, saint Loy est devenu un fidèle du Christ.
Ca ressemble fort à une christianisation d'un personnage antérieur.

Les Roms sont passés par la Perse, puis la Turquie et le Bosphore pour certains, par l'Egypte pour d'autres (Gypsies, Tsiganes, Gitans, sont des mots signifiant Egyptiens, même s'il s'agit alors d'une Egypte plus mythique que réelle). Leur culture s'est fortement imprégnée des pays par où ils sont passés. N'oublions pas qu'ils sont restés plusieurs siècles dans chaque environnement. Leur langue porte les traces de ces séjours, et elle s'est diversifiée en dialectes. Par exemple, les Manouches (d'un mot rom signifiant "homme", à prononcer [man-nouche]) ont séjourné en Allemagne. Leur dialecte comprend de nombreux mots allemands, et leurs noms sont souvent allemands d'origine (Baumgarten, Weiss, Winterstein). D'autres, comme les Calderash, les Lovara, les Tchurara, sont restés dans les Balkans (Roumanie, Bulgarie, Hongrie, Yougoslavie). Les Sinti ont passé du temps en Italie du Nord, les Gitans en Espagne et au Portugal et dans le sud de la France.
Deux bons bouquins à lire sur ce peuple fascinant, bien qu'assez criminogène... :
Parlons Tsigane, Histoire, culture et langue du peuple tsigane de Vania de Gila-Kochanovski, éd. L'Harmattan.
Tsiganes, de Yan Joors (éditeur ?). L'auteur raconte comment il a été adopté à l'âge de 11 ans par des Lovara qui passaient en Belgique, et chez qui il a vécu de 1920 à 1940 environ. Passionnant, et sans faux-discours angélique.

MessagePosté: Jeu 07 Aoû, 2003 9:10
de Muskull
Bonjour :)

Je crois que j'ai trouvé quelque chose :
"Mais cette purification semble être, en fait, la phase préalable d'une dialectique de la transgression qui aboutit à la mise à mort du roi-sacrifiant par l'intermédiaire d'une victime substituée. Le Joi borgne mis devant le temple de Vishnu dans le grand récipient (kasi) - jeté très brutalement encore de nos jours sur le Vetâla qui reçoit les sacrifices sanglants destinés à Pacali Bhairava-prolonge ainsi le rôle dans l'Avamedha du jumbaka brahman. On peut donc penser que la troisième tête (supra p. *) qui se cache derrière les deux têtes des boucs sacrifiés dans le homa (Mshuti) devait sans doute appartenir à ce Joi difforme représentant le roi sacrifiant.
Le Mptra (skt. Mahptra), figure quasi-bouffone qui tue avec son épée la statuette d'Indra sur le poteau à la fin de l'Indra Yâtrâ à Bhaktapur (NEPALI, p.364), reçoit d'abord la couronne de Vishnu dans le temple de celui-ci sur la place Dattatreya."

http://www.svabhinava.org/pacali/

Ce sacrifice de bouc est intéressant (bouc émissaire). Dans "esquisses de mythologie", Dumézil cite un mythe Ossète (Crimée act.) :
Tutyr, le maître des loups. A l'automne, chaque famille offre un bouc à Tutyr pour qu'il écarte les loups des troupeaux. En luttant contre Faelvaera, le protecteur des moutons, Tutyr l'éborgne.
Dumézil propose une comparaison avec Lycurgue, le législateur de Sparte.
Lyco- Vorgos = celui qui tient les loups à l'écart.
Plutarque raconte comment Alcandre crève un oeil à Lycurgue...

Dans la mythologie nordique, Odin (premier aspect de la fonction souveraine, sorcier et « lieur ») laisse un oeil pour acquérir le savoir, et Týr (deuxième aspect de la fonction souveraine, juriste) perd un bras pour préserver l'ordre divin. La mutilation sacerdotale de l'oeil et celle, guerrière, du bras sont des symboles récurrents dans l'idéologie indo-européenne. Et il y a aussi des loups dans l'affaire :wink:

MessagePosté: Jeu 07 Aoû, 2003 9:36
de Muskull
Voir aussi :D
http://www.adpf.asso.fr/adpf-publi/foli ... il/15.html

Pour ceux qui ne connaissent pas Dumézil, aller dans "sélectionner une page", il y a un bon résumé de sa vie et de son oeuvre. :)

MessagePosté: Jeu 07 Aoû, 2003 12:14
de Sedullos
Salut à tous,

deux remarques :

Lug n'est ni borgne, manchot, ni unijamiste, ce n'est pas un enfant de Calatin, mutilé sur ordre de Medb : il prend une posture, avec 1 oeil, 1 bras, 1 jambe pour combattre son grand-père le Fomoré Balor.

Par cette posture, il devient Fomoré le temps de vaincre Balor.

le conte tsigane rassemble des motifs qui me font penser à un conte populaire russe du recueil d'Afanassiev, mais je ne sais plus lequel.

sed...

MessagePosté: Jeu 07 Aoû, 2003 13:44
de Marc'heg an Avel
Question bete :

S'il est borgne, manchot, et unijambiste, je suppose que c'est d'un seul coté !

C'est à dire qu'on voit l'oeil droit, le bras droit, la jambre droite ! (ou les gauches ?!)

Si cela était, on pourrait donc s'inspirer des statues de profil égyptiennes ou crétoises.

Et ce n'est pas parce qu'on n'en voit qu'un seul coté qu'il n'y en n'a pas deux ???!!!

Seulement, l'autre coté, on ne le voit pas ! Meme s'il existe !

A ce niveau de réflexion, on n'est plus borgne, on est louche.

JC Even :D :D :D

MessagePosté: Jeu 07 Aoû, 2003 16:02
de HornedCrapi
[quote="Fergus Bodu"] Arrive ce bon Jésus qui, pour changer un fer à un cheval, ôte carrément la jambe du cheval, lui pose un nouveau fer, et remet la jambe à l'animal qui ne s'était aperçu de rien. Depuis ce temps, saint Loy est devenu un fidèle du Christ.

Y a pas à dire, Jésus a toujours eu 1 bon sens pratique... pourquoi faire simple quand on peut tout exploser et reconstruire...

Enfin :lol:

Dans le genre uni-quelque chose, il y a 1 sorcière assez "amusante". Elle n'a qu'un bras, qu'une jambe, je crois qu'elle n'a qu'un oeil, mais en plus de ça elle n'a qu'1 seule dent, très longue, sur laquelle elle s'appuie comme sur une béquille. Je crois que c'est Finn qui a la chance de la rencontrer :P

MessagePosté: Jeu 07 Aoû, 2003 19:42
de Muskull
Lug n'est ni borgne, manchot, ni unijamiste, ce n'est pas un enfant de Calatin, mutilé sur ordre de Medb : il prend une posture, avec 1 oeil, 1 bras, 1 jambe pour combattre son grand-père le Fomoré Balor.


Oui, tout a fait Sed, mais cette "danse guerrière" fait penser au conte tsigane et à la possible mutation d'un mythe d'un "dieu du ciel" archaïque.
Il fait aussi penser à un possible "art martial" mais c'est un autre sujet...

Autre chose : Loup est leu en vieux français (surtout en île de France et picardie) mais aussi un nom de Lug...
Comment se fait la différence en toponymie entre Lug et saint Leu, évêque de Sens ? Question de néophyte :?