Aux sources de la vie : serpent, âme et spiritualité
Déviance et défiance des légendes venues d’ailleurs, chaque contrée de la Gaule repliée sur elle-même a su créer ou recréer ses siennes propres. Les mythologies qui remontent aux grandes civilisations primitives nous rapportent une croyance portée sur un fantasque éloigné du rationnel du christianisme, et, où l’invisible doit être compris par le visible.
On connaît peu d’histoires de monstres effrayants liés aux sites qui sont magnifiques. Leurs charmes idylliques et les traditions du terroir n’incitent guère à raconter aux petits enfants, comme aux grands, des récits fades et ténébreux.
Au contraire la dureté et fantasmagorie des lieux façonnent les légendes et le caractère superstitieux, si ce n’est craintif et imaginaire, des gens qui y habitent. L’on y retrouve la résurgence des instincts mystiques et formes animales, comportements irrationnels, projections sensuelles de nos désirs inavoués, croyances latentes, obsessions et craintes exacerbées.
Ainsi le nom même de la Vouivre issue du celte par l’intermédiaire du latin
vipera, qui veut dire vipère ou serpent, ou encore du franc
vouibre. Si ce n’est dans ses amplitudes théonymes et toponymes, des attributs théorimorphes anciennes précisent la fonction spirituelle, céleste, subaquatique et terrestre de cette insaisissable et shamanesse divinité. C’est selon les lieux et les sources, un simple serpent d’eau, un serpent de feu, une dragonne antédiluvienne ou encore une femme serpent, dont la taille varie dans les écrits entre quelques pieds et plusieurs toises.
Par ouï dire le soir autour du feu, les clercs folkloristes qui, à partir du XIè siècle, se sont attelés sur le parchemin, à un lent et laborieux travail de recomposition à la plume d’oie des anciens contes, fables, us et coutumes populaires les ont sans cesse recopiées, remaniées, retraduites et réadaptées en nouveaux égarements fantasques et filiformes.
A la lueur tremblotante d’une chandelle, «
la femme au serpent » devenant, soudainement, pour faire court :
la femme serpent !
Les légendes et leurs déités ne meurent jamais
Mais la symbolique angéologique du bûcher purificateur biblico-caballo-ésotérique du haut moyen-âge a fait son œuvre. Réviviscence de ces dernières prêtresses du monde celtique des îles et des eaux du couchant qui avaient le pouvoir de prendre des formes animales et qui se cachaient dans la clandestinité au fond des forêts pour échapper au massacre des Romains, puis plus tard de la chasse chrétienne aux "sorcières" qui refusaient la servilité et le baptême.
Réhabilitée en personnage littéraire, mais au contraire de sa consœur Mélusine la bâtisseuse, déesse païenne devenu fée chrétienne, puis représentation de la Vierge Noire dans son aspect céleste, et qu’on retrouvera enfin soumise aux pieds de la Vierge Marie.
Car la Vouivre n’est pas de celles qu’on enchaîne et qu’on soumet. Portant en elle la mémoire et les stigmates des croyances passées, elle vit, en somme, une sorte de catharsis, de libération sous forme d’émotion, d’une représentation refoulée dans l’inconscient collectif. Emanation éthérée et désemparée d’un monde qui n’est plus le sien, réfractaire à la modernité, rebelle au mariage, fuyant le confort la vanité, les frivolités et mensonges de ce monde.
Ayant fait vœu de spiritualité, et certainement de virginité, elle se contente d’errer et de se dissimuler dans un univers souterrain qui lui sied, tels de précieux sanctuaires,
nemeton ou
fanum naturels, du silence basilicale d’une caverne, grotte insalubre ou aven profond et humide ou à défaut les froids celliers de quelque château en ruine. Alors que ses formes évanescentes se dissipent dans les brumes du petit matin blême, ses yeux brillent d’avoir trop pleurés.
Issue d’une longue lignée de déesses qui, de voyage en voyage, le long des méandres des côtes et des fleuves, métamorphoses, apparences, visages et noms, sans jamais disparaître, se muent en tout temps et toutes époques dans tous les pays et religions. Confondue avec la Vénus des eaux, on peut l’assimiler à Salus la romaine, déesse de la santé et du bonheur, et à Hygena la grecque, déesse de la santé et de la guérison, et qui avaient comme attribut le serpent.
La Vouivre hybride, mi-femme, mi-serpent, femme-fée de l’entre deux mondes et déesse de l’ancien monde, rejoint ses déités stellaires, nymphes des eaux et génies des sources salutaires et de la guérison dans la fresque mythologique et la statuaire du panthéon gallo-celtique et qui avaient elles aussi le serpent comme attribut (Sirona, Sequana, Souconna, Sabrina, Sulevia, Rosemerta, Damona…).
On retrouvera ainsi la symbolique du
Serpent/ Dionysos sur le fil :
http://forum.arbre-celtique.com/viewtop ... 2551#22551
Ainsi Sirona aussi appelée Stirona, Dirona, Divona… (
Sir en latin veut dire long, qui vit longtemps, proximité pour le moins phonique de Sirona avec sirène), des inscriptions gauloises dont le nom se réfère à l’astre qui brille dans le ciel. Elle peut être aussi assimilée à Belisama (belle lumière de l’été) par son aspect de messagère du
Sidh, de sentinelle de l’au-delà.
Détentrice du troisième œil, des pouvoirs et des trésors matériels cachés à travers la terre, la Vouivre détient les clefs de ce monde et se baigne, pudique, à l'écart à la claire fontaine comme pour se laver des
escarres et péchés du monde.
Sa caractéristique immuable est de porter au milieu du front une escarboucle (que l’on retrouve dans le sens d’
escarbille: flammèche, cendre, étincelle, éclair…).
Plus précieuse que tout autre, cette pierre a, dit-on, des vertus magiques. Qui la possède comprendra le langage des animaux et des oiseaux et soignera tous ceux qui l’approcheront ! Elle lui dévoilera les vérités et richesses spirituelles.
Cette escarbille brille d’un tel éclat, que volant la nuit – telle une étoile filante qui nous fait émettre des vœux –, sa longue chevelure entremêlée par les vents laisse derrière elle une longue traînée de poussière dorée.
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La Vouivre : femme ou serpent ?
Soit dit entre nous, tout comme les traits primitifs de la princesse de Vix, dont on peut comprendre les déformations « mongoloïdes et ou négroïdes » dues à la pression de la terre et des siècles, on éprouvera évidemment quelque difficulté à retrouver dans "cette Vouivre exquise", sauvage et solitaire, et qui se défend d’être la représentation érotico-exotique (figure 4) de cette sirène sans âge qui a semble-t ’il survécu aux ébats aquatiques, aux pressions et grands froids des bas-fonds marins :
http://perso.wanadoo.fr/initial.bipedalism/23.htm
Ou encore de ce formidable dragon à trois yeux, appelé également dragon couronné et dragon roi, qui, selon certaines versions des Alexandréides ou Alexandriades, bloqua durant plusieurs jours aux frontières de l'Inde l'armée du grand conquérant macédonien Alexandre qui était, on le sait, sujet à fantasmes et hallucinations :
edjs