roscoff-quotidien.eu a écrit:----------Chroniques d'histoires publiées dans le
Bulletin Paroissial de Roscoff n° 277 puis n° 278 - 1973 - Juillet / Août / SeptembreNous voulions aussi nous donner le temps de consulter des spécialistes de l'art gallo-romain.
Etait-ce une Déesse ? Etait-ce une Princesse--------------- Bloskon - La statuette gauloise ou romaine http://www.roscoff-quotidien.eu/histoir ... al-278.htmLa figure que nous publions dans le précédent numéro, met à rude épreuve la sagacité des archéologues. Nous n'aurons pas la prétention de nous substituer aux hommes de l'art même si nous suggérons, pour conclure, une hypothèse sur le site de Blauscon où fut découverte la statuette.
Nous emprunterons au Bulletin archéologique du Finistère le rapport que nous possédons de cette découverte, la description de l’œuvre et le commentaire de son premier possesseur. On ignore aujourd'hui où elle se trouve. C'est au médecin général LAURENT que nous devons la publication de ce document (Bull. arch. 1964). Celui-ci est l’œuvre de DESLANDES (1689-1757).
Parue d'abord dans le JOURNAL de TREVOUX de novembre 1727 cette lettre fut reproduite avec des critiques pertinentes dans L'EXPLICATION DE DIVERS MONUMENTS SINGULIERS... par un père Bénédiction (Dom Martin) en 1739.
Voici cette lettre :
LETTRE DE M. DESLANDES, de l'Académie Royale des Sciences et Commissaire Général de la Marine, sur une Antiquité Celtique.
“Il y a quelques mois, Monsieur, qu'un de mes Amis m'a envoyé une Antiquité Gauloise ou Celtique, qui me paraît extrêmement curieuse. Ces sortes de Monumens, comme vous sçavez, sont assés rares dans le Royaume, et la plupart de ceux que le hazard a fait découvrir jusqu'ici ont été moins expliqués qu'admirés par les Gens de Lettres. Je ne sçai si j'aurai plus d'adresse ou de bonheur qu'eux.
Après tout, Monsieur, s'il est quelquefois permis deviner, c'est assurément en matière de Tombeaux, de bas Reliefs, de Médailles et d'Inscriptions antiques. Les plus habiles, à mon gré, sont ceux qui assaisonnent leurs conjectures d'un plus grand air de vraisemblance.
Je ne veux point ici vous prévenir sur l'Antiquité dont on a enrichi mon Cabinet ; j'en ai fait faire un Dessein que j'ai l'honneur de vous envoyer. Vous pouvez compter sur son exactitude et sur sa ressemblance avec l’original.
C'est une statue de 22 pouces de haut, et qui peut en avoir huit dans sa plus grande largeur (60 x 22 cm). Quoiqu'elle paroisse en gros être d'une main gothique, on voit cependant quelque chose d'agréable et de fin dans les bras, les cheveux et tous les traits du visage. Au premier coup d'oeil, cette Statue paroit être d'une pierre grise, assés commune en Bretagne ; mais quand on l'examine de près, on s'aperçoit qu'elle est d'une matière très dure et très pesante, qui ne peut se rompre qu'à coups de marteau. Les fragments qui s'en détachent, s’égrainent facilement entre les doigts et se répandent d'un côté et de l'autre, comme le sable le plus fin.
J'ai longtemps douté si c’étoit la Figure d'une fille ou d'un garçon ; et mon doute étoit fondé sur quelques circonstances particulières, sur un premier coup d'oeil, que je ne puis ici détailler ; mais enfin le tout ensemble, m'a forcé de reconnoître que c’étoit une fille.
Son habillement consiste en une Tunique sans manches, et un petit Manteau, qui couvre à peine les bras. Ces sortes de Tuniques, au rapport de Pline et de Tacite, étoient tissées de lin, et les femmes de qualité s'en servoient communément, tant parmi les Germains que parmi les Gaulois. Chacun sçait que ces deux Peuples avoient presque le même plan de Jurisprudence et de Religion, et qu'ils s’accordoient l'un avec l'autre dans leur manière de vivre et de s'habiller. Tacite ajoûte qu'il n'y avoit point de manches aux Tuniques des femmes, et qu’on leur voyoit les bras nuds en toute saison.
Pour ce qui regarde le petit Manteau, je suis assés disposé à croire que c'est un Sagum ; et on ne doit sur cela me faire aucune difficulté ; car il y avoit des Sagum de plusieurs espèces. Le Romanum était fort ample et sans manches. Le Germanicum s'attachoit sur l'épaule avec une boucle ou une agraffe ; les pauvres et les gens de la Campagne se servoient d'un morceau de bois qu'ils tailloient eux-mêmes d'une façon grossière. Le Gallicum ressembloit le plus souvent à un Manteau, dont les plis tomboient négligemment autour du corps. Le Virgaturn étoit orné de quelques Landes de pourpre, et découpé par le bas. Il n'y avoit que des Personnes de distinction, des Ambassadeurs et des Généraux d'Armées, qui eussent le droit de s'en servir. Pour le Sagum Macedonien, il étoit fermé de tous côtés d’une manière assés gênante, et on ne pouvait agir sans le relever des deux mains. Ce dernier habillement devoit être aussi incommode pour la Ville que pour la Campagne. On peut voir dans les Planches 48 et 49 du troisième Tome de l’Antiquité expliquée etc. des Chlamys et des Sagum, qui ont la forme de manteau. Les hommes et les femmes s’en servoient également, et il y avoit au fond peu de différence dans tout ce qui regardoit leur ajustement et leur parure. On ne s’étoit point encore fait un art de se mettre, et de s'habiller par ostentation.
La jeune Personne dont je vous envoye la Figure, a les cheveux courts et bien séparés, mais sans aucun ornement de tête. C'étoit l’usage des Gaules et de la Germanie : usage qui se fait remarquer dans toutes les figures que le temps a épargnées. Hérodien à l’entrée de son Histoire rapporte que l'Empereur Antonin affectoit curieusement de faire teindre ses cheveux en blond, et de les faire couper suivant la manière des Germains.
Le Bas relief qui fut trouvé en 1711 dans l'Eglise Cathédrale de Paris, représente à la vérité des Gaulois avec des bonnets sur la tête. Mais on doit remarquer que ces Gaulois préparent un grand Sacrifice : et c'étoit une nécessité dans les cérémonies de Religion, d'avoir la tête couverte, et souvent la visage voilé. Une pareille sujétion marquoit plus de crainte et de respects pour les Dieux ; du moins on lavoit ainsi établi. J’ajouterai encore que dans l’Antiquité la plus reculée pour caractériser un homme prudent et maître de lui-Même, on le représentoit d'ordinaire avec un bonnet ou un petaze. C'est ainsi qu'Ulisse étoit toujours peint ; et l'Auteur de la vie d'Hipocrate assure que, pour faire plus d'honneur à cet illustre médecin, on le peignoit aussi de la même maniere. Sans doute qu'il y avoit quelque raison secrete et mystérieuse de cet usage.
Notre Gauloise a encore la main gauche mollement étendue sur le ventre, et elle tient de la droite un oiseau à long bec, qui me paraît une bécasse de mer. Cette attitude est assés commune aux figures Celtiques ; et quand on en déterre quelques unes, on leur trouve toujours dans les mains un oiseau, un chien, un vase, un panier, ou un petit coffre, etc. Personne jusqu'ici n'a pu nous dire ce que signifient ces Symboles. Pour moi, je suis persuadé que les figures entre les mains de qui on voit un chien, ou un oiseau; étoient des Personnes de distinction, et je me fonde particulièrement sur une raillerie échappée à Jules César : Est-ce que les Dames Romaines, disoit-il, n'ont plus d'enfans à nourrir, ni à porter entre leurs bras ? Je n'y vois que des chiens et des singes. Il veuloit apparemment se moquer de la coutume ridicule qu'il avoit trouvée dans les Gaules, et qui commençoit de s'introduire à Rome.
Et quel ennuyeux spectacle pour un Héros, pour un homme d'esprit, de voir des femmes s'occuper tout un jour et s'entretenir avec des animaux !
Les instrumes de ménage, comme un vase, un panier, un coffre, peuvent marquer ou la profession de ceux à qui on attribua ces instrumes, ou quelque charge, quelques rapports particuliers que nous ne connaissons plus. On trouve dans plusieurs cimetières de Guyenne et de Poitou, de grandes pierres sépulchrales, qui ne contiennent aucune inscription, mais qui sont chargées de différentes sortes d'ustensiles et d'outils. J'ai vû quelques-une de ces pierres, où il y a certainement de l'art et de l'invention. C'est dommage que tout cela soit enfoui dans les Lieux incultes, et presque abandonnés.
Ce qui doit ici causer le plus de peine, c'est que notre Figure a une corde au col, qui fait deux tours, et qui revient par dessous les bras. Est-ce là une parure ? Est-ce un cordon qui sert à retenir le manteau ? Je n'oserois décider entre ces trois conjectures. La seconde pourtant me paroit la plus vraisemblable.
Au reste, Monsieur, cette Statue n'a été faite que depuis l'irruption des Romains et leur Entrée dans les Gaules. On doit porter le même jugement de toutes les Antiquités Celtiques, qu'on voit dans les Cabinets des Curieux. Le Père Mabillon croyoit qu'il y en avoit beaucoup de supposées ; et il ajoûtoit que tout ce qui a un air gothique en France, n'est point véritablement antique. Je doute qu'on doive se soumettre, à une décision si générale.
Il y a vingt ans (1694) que cette Statue fut découverte par des Ouvriers qui travailloient au Fort de Bloscon, vis à vis la pointe du Quay de Roscof. Elle étoit à plus de 30 pieds cachée dans la terre (soit 10 m). Ces Ouvriers l'ayant biezn nettoyée, saisis eux-mêmes d'un respect inconnu, la poseront sur un piedestal préparé à la hâte. Le Peuple, à son ordinaire crédule et superstitieux y accourut en foule, et bien tôt on donna à cette Figure le nom de St Pyric, qu'une Tradition vague et incertaine supose avoir été Evêque et Comte de Léon, mais il y a apparence que c'est un Saint fabuleux. On n'en trouve aucun vestige ni dans la Légende d'Albert le Grand, Dominicain de Morlaix, ni dans les plus anciens Bréviaires à l’usage du Diocèse de Léon. ni dans les Vies des Sains de Bretagne, publiées depuis peu par les soins du Père Lobineau. Cet ouvrage, pour le dire en passant, pèche par une infinité d'endroits ; et l'Auteur ne contente ni les Critiques, qui veulent qu'on s'apuye toujours sur des Chartres et des Pieces originales, ni les âmes pieuses, qui avec moins de lumières se laissent facilement toucher et attendrir. On voit cependant dans l'Eglise du Creisquer à Léon, une ancienne peinture, qui représente un Evêque couvert d'une Chape toute semblable au manteau de notre Figure Gauloise, et le nom de S. Piric est au bas, avec un court Eloge ; mais cette écriture ne paroit pas avoir plus de cent ans.
L'Eglise du Creisquer est une des plus anciennes qui soient en Bretagne. Les Anglois la firent bâtir dans le premier feu de leurs conquêtes. Il y a sur tout un Clocher d'une hauteur surprenante ; et le Maréchal de Vauban, bon connoisseur en ces sortes d'Ouvrages, a souvent dit que c'étoit le morceau d'Architecture le plus hardi qu'il eut jamais vû. On nomme ici ce Clocher LA TOUR DU DIABLE. Vous sçavez, Monsieur, qu'autrefois dans toute l'Europe on donnoit le même nom aux Ouvrages extraordinaires de la Nature et de l'Art. En Asie, au contraire, on les apelloit et on les apelle encore aujourd'hui des Ouvrages de Dieu. L'Ecriture Sainte en fournit elle seule plusieurs preuves.
Cette contrariété de langage mérite quelque attention et on pouroit trouver dans le génie des Peuples qui habitoient l'Europe et l'Asie, dans leur manière de saisir et d'envisager les choses, l'origine de deux expressions si differentes et si oposées l'une à l'autre.
Au reste, Monsieur, quand on rencontre quelques Antiquités en Basse-Bretagne, c'est toujours dans des lieux écartés et solitaires. Ces antiquités ordinairement ont un air très grossier et très-rustique ; elles rapellent tout le brut des premiers Ages. Aussi a-t-on détruit par une fausse honte, celles qu'on voyoit autrefois dans des Maisons et des Châteaux considérables. Je vous dirai de la même manière, que quoique la Langue Celtique soit ici très commune, ce n'est cependant qu’à la Campagne et au milieu des Forêts, qu'on la parle purement. Dans les Villes. elle est si mêlée d'expressions étrangeres et de tours François qu'elle n'est plus reconnoissable. On a aussi beaucoup de peine à s’entendre d'un Evêché à l'autre.
Messieurs Spon et Wheler, ont remarqué en Voyageurs curieux, qu'il se parle une Langue extrêmement corrompûe dans toute la Grèce moderne ; que cependant plus on s'éloigne de la Mer et des lieux fréquentés, plus on trouve des vestiges de l'ancienne Langue, plus on s'exprime noblement. Vous ferez, sans doute, ici la même refléxion que j'ai faite plusieurs fois. On doit chercher les Langues vivantes à la Cour et dans les grandes Villes. Quand ces langues s'anéantissent et que le Gouvernement vient à changer, c'est dans les Endroits les plus obscurs, dans les Cabanes couvertes de chaume, qu'elles semblent se conserver. La raison en est facile à découvrir, et je croirais faire tort à votre intelligence, de vous y arrêter plus longtemps.
Ce que j'avance ici au sujet du langage, se doit dire, à peu de chose près, des habillemens. Dans la plupart des Isles qui bordent la côte de Bretagne, les femmes portent encore des Manteaux qui ressemblent au Sagum de notre Figure. J'ay fait dessiner deux de ces Femmes, dont l'une est d'Ouessant, et l'autre de Groye. C'est véritablement dans ces Isles qu'on retrouve les moeurs et les anciens Celtes. Elles n'ont rien voulu emprunter de la Terre ferme ; et les Habitans peu jaloux de ce qui ne les touche point, y jouissent d'une sorte d'indépendance. Le celebre M. Halley, dans les TRANSACTIONS PHILOSOPHIQUES, a fait quelques remarques semblables, au sujet des Isles qui sont vers le Nord de l’Ecosse. On y reconnoit dans l'usage commun de la vie, dans de certaines adresses qu'on ne voit point ailleurs, ce que Buchanan et les autres Historiens raportent des anciens PICTES et des ANGLO-SAXONS.
Au reste la dévotion à St Pyric, très-vive dans sa naissance, subsista environ deux ans ; et elle effaçoit déjà toutes les autres. Un sçavant Ecclesiastique, là qui par hazard on en fit le raport, enleva secrètement la Statue. C'est par son industrie et par son attachement aux Belles-Lettres, qu’elle a passé dans mon Cabinet.
Je suis, etc.... “
DEESSE ou PRINCESSE de BLAUSCON ? écrivions-nous en publiant l'image de DESLANDES. Nous n'envisageons pas du tout d'y voir une statue de saint.
L'art gaulois connait des divinités à l'oiseau ; nous avons fait venir deux études sur ce sujet, l'une par Adrian N. NEWELL (1939) et l'autre par Albert COLOMBET (1949). Des spécialistes de l'art gallo-romain consultés n'ont pu nous éclairer cette énigme de BLAUSCON. Aussi bien de quel oiseau s'agit-il ?
Peut-être est-il préférable d'envisager l'hypothèse d'une stèle funéraire, le buste d'une jeune fille. On nous dit, en effet, que la statuette (de granit) fut trouvée à bonne profondeur. On ne se représente pas bien le forage d'un trou dans ce promontoire rocheux pour y cacher cet objet.
Les chrétiens n'auraient pas pris tant de peine en tout cas pour une statue païenne. C'est donc que le buste devait se trouver dans un monument déjà implanté en l'endroit et l'idée qui vient naturellement à l'esprit est celle d'une tombe monumentale, un tumulus. On connaît non loin d'ici celui de Barnenez.
Seuls des cahiers de chantier eussent pu nous éclairer sur l’état des lieux avant la construction du fort ; nous aurions appris l'origine des pierres utilisées pour les murs et les casemates. Nous ne désespérons pas de découvrir un jour des indices.
La clé de l'énigme est sans doute le mot même de BLAUSCON. Nous avions envisagé de voir en ce toponyme un BOLZKON devenu à l'usage BLOSKON ; ce phénomène linguistique du renversement des lettres est fréquent à Roscoff et pas seulement aujourd'hui (Bulletin Avril 1973) - Ce que nous venons d'écrire sur la statuette nous incite â retenir cette hypothèse.
C'est ainsi que nous fermerons le dossier de :
BOLSKON ou le TOMBEAU DE LA PRINCESSE.
Jean Feutren