Tout simplement pour faire comprendre que la question ne date pas de hier soir :
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Firmicus Maternus :
L'Erreur des religions Païennes. Texte établi, traduit et commenté par Robert TURCAN. Belles Lettres. 1982.
Introduction.
p. 56.
Le problème de source le plus irritant concerne l'ethno-géographie des cultes « élémentaires ». Pour F. Cumont 1, ce système « est certainement emprunté aux théologiens païens ». Saloustios 2 reproche aux Égyptiens d'avoir « tenu les corps eux-mêmes pour des dieux ». Il songe, semble-t-il, aux explications qu'un historien grec aura données de la religion égyptienne, par exemple aux
Aegyptiaca d'Hécatée d'Abdère auquel Diodore de Sicile est tant redevable 3. « Les Égyptiens ont divinisé chaque élément », écrit l'auteur de la Bibliothèque historique 4. D'autres, comme Philon de Byblos 6, attribuent aux Phéniciens l'adoration des
dieux « physiques » : astres et éléments. Aussi Eusèbe 6 rend-il responsables du polythéisme ces peuples idolâtrant la création dans sa diversité matérielle en lieu et place du Créateur. Ailleurs, on s'en prend aux Perses 7 ou aux Chaldéens 8. Mais que la religion des éléments soit imputée aux Égyptiens, aux Perses ou aux Phéniciens, il ne s'agit que d'Orientaux. Ce primitivisme barbare des cultes « élémentaires » s'accordait bien, d'ailleurs, avec l'opinion que s'en faisaient les Grecs, tout en révérant ou feignant d'admirer l'antiquité et la sagesse profonde des théologies orientales 1. Toutefois, on ne voit pas dans ces textes que les dieux ou déesses soient répartis entre différents peuples comme dans le
De errore. Il est concevable qu'un historien-philosophe ou philologue de l'époque hellénistique ait voulu expliquer l'origine des cultes primordiaux et la géographie sacrée de l'Orient en fonction des quatre principes de la matière. Mais qui a imaginé ce système à la fois cohérent et naïvement schématique ?
On en trouve l'esquisse chez Sextus Empiricus 2 et chez Lucien 3 : les Perses adorent le feu, les Égyptiens l'eau. Cela fait partie des idées reçues. Mais les deux autres éléments ne sont pas classés dans la série. Le souci même d'affecter tel peuple au culte de tel dieu n'était pas étranger aux astrologues, et l'auteur de la
Mathesis devait en être informé. En effet, dans le cadre de l'apotélesmatique universelle, la chorégraphie zodiacale divisait l'Oikoumène en quatre régions dominées chacune par un trigone dont l'orientation passait pour être motivée par le tempérament des planètes y domiciliées 4. Ptolémée 5 — qui dépend peut-être de Posidonius sur ce point comme sur tant d'autres 6 — expose une chorographie qui, eu justifiant les mœurs et tendances des différents peuples, prétend expliquer, à l'occasion, leur prédilection pour tel ou tel culte : Mithras-Hélios et Aphrodite-Ishtar 1 en Perse et en Babylonie, la Mère des dieux en Asie-Mineure 2.
Mais l'astrologue alexandrin ne fait pas état de la déification des éléments. Les fragments conservés du
Peri agalmaton de Porphyre ne livrent non plus aucun indice autorisant à conjecturer qu'il a inspiré le schéma de cette tétrarchie sacrée à Firmicus Maternus.
F. Gumon 3 écrivait à ce propos : « les cultes autrefois rivaux se sont réconciliés et se regardent comme des divisions d'une même église, dont leurs clergés forment, si j'ose dire, les congrégations ». Le dessein de faire bloc, face au christianisme, aurait donc inspiré un « théologien païen ». Mais quelles raisons, après tout, nous forcent d'admettre que Firmicus dépend sur ce point d'un théoricien du polythéisme ? Il savait, comme beaucoup d'autres, que les Égyptiens avaient sacralisé l'eau, les Phrygiens la terre-mère, les Perses le feu. Depuis Empédocle, on déchiffrait dans Héra la personnification de l'air. L'originalité peut avoir consisté à identifier dans celle-ci la
Iuno Caelestis des Carthaginois ou la Vénus-Astarté des Syro-Phéniciens, afin d'attribuer le culte de l'air à une race orientale, comme celles qui adoraient les autres éléments. La théorie des quatre éléments, qui composent l'univers (ou macrocosme) en même temps que l'homme (ou microcosme), était familière à l'auteur de la
Mathesis 4, de même que le dogme des caractères propres à chaque peuple 1 - - qui pouvait n'être pas étranger à l'idée des cultes « élémentaires » indigènes. L'ancien
mathematicus devait être informé aussi de la chorographie zodiacale qui mettait telle région en relation avec telle dévotion majeure.
Il n'est pas impensable, en somme, que Firmicus ait systématisé toutes ces données qui relevaient du domaine commun.
De toute façon, l'exégèse platonicienne (ou platonisante) de la déesse aux trois visages qui occupe une partie du chapitre V garde le secret de son origine a. Elle n'est pas foncièrement liée à l'ethno-géographie des quatre grands cultes élémentaires. Sur ce point, Firmicus me paraît être étroitement tributaire d'une source philosophique qui hellénisait et rationalisait certaines données religieuses d'origine iranienne 8.
Qu'elles soient précises, dubitatives ou même négatives, ces constatations autorisent du moins à reconnaître la pluralité et la disparité de l'information qui a servi de substrat au
De errore. Elles autorisent aussi, je crois, à ne pas dénier a priori au polémiste toute espèce de novation dans la mise en œuvre et surtout dans l'actualisation des arguments antipaïens. Sa polémique même le conduit à mettre en série les données et à faire du comparatisme religieux avant la lettre, qu'il s'agisse des dieux-éléments (I-V), des théologies solaires (VII, 7-VIII) ou des cultes de l'arbre (XXVII, 1-2). A cet égard aussi, le pamphlet de Firmicus ne manque ni d'intérêt ni d'originalité.
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Les chiffres apparants dans ce texte correspondent à des notes de renvois en bas de pages.
Soulignagne JCE
JCE