Mobilisation des Romains et des autres peuples d'Italie (226-225 av. J.-C.)
Ayant appris que les Gésates avaient franchi les Alpes, et qu'avec leurs alliés Taurisques, Insubres et Boïens, ils avaient la ferme intention de déferler sur l'Italie, des mesures d'exception furent prises, aussi bien sur un plan diplomatique, que religieux et militaire.
Dés que les Romains eurent vent des préparatifs en cours sur la rive gauche du Pô, ils lancèrent une vaste offensive diplomatique (probablement au cours de l'automne 226 av. J.-C.). En premier lieu, des ambassadeurs furent dépêchés auprès des Cénomans et des Vénètes, lesquels obtinrent que ces deux peuples prennent parti pour Rome (Polybe, Histoire générale, II, 23 ; 24 ; Strabon, Géographie, V, 1, 9). Les Boïens partirent donc avec un handicap notable, puisqu'ils durent laisser une partie de leurs troupes en arrière, pour se prémunir d'éventuelles attaques menées par les Cénomans et les Vénètes (Polybe, Histoire générale, II, 23 ; 24). D'autres ambassadeurs furent envoyés aux différents peuples d'Italie pour les inviter à lever des troupes et à prendre part à ce conflit imminent aux côtés des Romains (Polybe, Histoire générale, II, 23).
Les Romains se préparèrent également à ce conflit en rendant hommage à leurs dieux par des sacrifices. Dans ce cadre, obéissant aux oracles des livres Sibyllins, des sacrifices humains eurent lieu : un couple de Gaulois et un couple de Grecs furent enterrés vivants au Forum Boarium (Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Marcellus, III ; Dion Cassius, Histoire romaine, fragment 159). Si, comme le suggère Plutarque (Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Marcellus, III), ce sacrifice précéda de peu les combats (printemps 225 av. J.-C.) et en inspira d'autres qui eurent lieu au mois de novembre des années suivantes, il convient de situer cet événement en novembre 226 av. J.-C.
Au début du consulat de Lucius Aemilius Papus et de Caius Atilius Regulus (printemps 225 av. J.-C.), l'armée fut mobilisée, tandis que d'importantes réserves de blé, d'armes et de munitions furent faites (Polybe, Histoire générale, II, 23). Selon Polybe, la terreur que l'imminence d'une invasion gauloise suscita fut telle que tous les Italiens se mobilisèrent pour participer à l'effort de guerre de Rome (Histoire générale, II, 23-24). Au total, selon Polybe, Rome et les autres cités d'Italie étaient en capacité de mobiliser 700000 fantassins et 70000 cavaliers. Ces chiffre sont largement corroborés par Eutrope, Orose, Tite-Live et Pline qui évoquent respectivement un total de 800000 hommes (Abrégé de l'Histoire romaine, III, 2 ; Histoires contre les païens, IV, 13, 5-7 ; Periochae, XX) et 700000 fantassins et 80000 cavaliers (Histoire naturelle, III, 138) (1). A l'inverse, ces chiffres furent considérablement amoindris par Diodore de Sicile, qui voulait certainement ainsi, réhausser le prestige de Rome (Bibliothèque historique, XXV, 3). Deux dispositifs furent mis en place, un premier pour défendre la frontière septentrionale de l'Italie, un second pour protéger les cités italiennes, au cas où le premier dispositif viendrait à ne pas être suffisant (Polybe, Histoire générale, II, 24) :
● | Pour défendre les frontières de l'Italie : Le consul Lucius Aemilius Papus fut envoyé à Ariminum (Rimini) à la tête de quatre légions (13000 fantassins et 1200 cavaliers) et des troupes auxiliaires ; un préteur a été envoyé en Étrurie à la tête d'une armée constituée de 50000 fantassins et 4000 cavaliers étrusques et sabins ; enfin, 20000 soldats ombriens et sarsinates et 20000 soldats vénètes et cénomans furent incités à mener des expéditions sur le territoire des Boïens pour les contraindre à revenir le défendre.
| ● | Pour défendre les cités d'Italie : 20000 fantassins et 1500 cavaliers réservistes se tenaient prêts à intervenir pour défendre Rome, secondés par 30000 fantassins et 2000 cavaliers auxiliaires. Les Latins se tenaient prêts à mobiliser 85000 fantassins et 5000 cavaliers, les Samnites 70000 fantassins et 7000 cavaliers, les Iapyges et Messapiens 50000 fantassins et 16000 cavaliers, les Lucaniens 30000 fantassins et 3000 cavaliers, les Marses, les Marrucins, les Férentiniens et les Vestins 20000 fantassins et 4000 cavaliers. Ajoutons à cela des légions en garnison en Sicile et à Tarente. |
Alors que les Romains et les autres populations italiennes organisaient leur système de défense, les Insubres, les Boïens et les Gésates franchirent le Pô. Rendus en Étrurie, ils la parcoururent et la ravagèrent.
Notes
Sources littéraires anciennes
Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XXV, 3 : "Les Celtes et les Gaulois entrant en guerre contre les Romains, avaient assemblé deux cent mille hommes au moyen desquels ils gagnèrent non seulement la première, mais encore la seconde bataille qui se donna entre les deux peuples, de sorte même que l'un des consuls fut tué dans celle-ci. Les Romains avaient alors sur pied cinquante mille hommes d'infanterie et sept mille hommes à cheval."
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Dion Cassius, Histoire romaine, fragment 159 : "Sous le consulat de Fabius Maximus Verrucosus, les Romains, et non les Dauniens, enterrèrent tout vivants, au milieu du forum, un Grec et une Grecque, un Gaulois et une Gauloise, par la crainte d'un oracle qui avait dit : un Grec et un Gaulois s'empareront de Rome."
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Eutrope, Abrégé de l'Histoire romaine, III, 2 : "Sous le consulat de L. Emilius, une armée formidable de Gaulois passa les Alpes : mais les Romains furent soutenus par toute l'Italie ; et l'historien Fabius [Pictor], qui servit dans cette guerre, rapporte qu'on opposa huit cent mille hommes à l'ennemi."
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Orose, Histoires contre les païens, IV, 13, 5-7 : "Sous le consulat de L. Aemilius Catulus et C. Atilius Regulus [225 av. J.-C.], le Sénat fut pris de panique par une rébellion de la Gaule cisalpine. En même temps, ils entendaient parler de l'approche d'une énorme armée venant de la Gaule voisine. Cette armée était composée en grande partie de Gaesates, qui n'était pas le nom d'une tribu mais de mercenaires gaulois. Les consuls, saisis de terreur, assemblèrent les forces militaires de toute l'Italie pour la défense de l'État. Lorsque les troupes furent rassemblées, il y avait, selon l'historien Fabius qui prit part à cette guerre, huit cent mille soldats dans l'armée de chaque consul. De ce nombre, l'infanterie romaine et campanienne comptait 299 200 hommes et la cavalerie 26 600. Il y avait aussi un grand nombre d'alliés."
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Pline, Histoire naturelle, III, 138 : "Telle est cette Italie que les dieux ont consacrée, telles sont les nations qui la peuplent, telles les cités de ses habitants ; cette Italie qui, sous le consulat de L. Aemilius Paulus et de C. Attilius Régulus, à l'annonce d'une invasion gauloise, seule, sans secours étrangers, et même alors sans les populations transpadanes, arma 80.000 hommes de cavalerie et 700.000 d'infanterie. Pour les richesses minérales, elle ne le cède à aucune contrée ; mais l'exploitation en a été interdite par un ancien sénatus-consulte, qui voulut qu'on ménageât l'Italie."
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Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Marcellus, III : "Ils donnèrent une autre preuve de leur effroi par les sacrifices extraordinaires auxquels ils eurent recours : jusqu'alors ils n'avaient rien admis, dans leurs institutions, d'étrange ni de barbare ; leurs opinions sur la Divinité, conformes à celles des Grecs, respiraient la douceur et l'humanité. Mais à l'approche de cette guerre, forcés d'obéir aux oracles des livres Sibyllins, ils enterrèrent tout vivants, dans le marché aux boeufs, deux Grecs et deux Gaulois, de l'un et de l'autre sexe, auxquels ils font encore aujourd'hui, dans le mois de novembre, des sacrifices secrets qu'il n'est pas permis au peuple de voir."
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Polybe, Histoire générale, II, 23 : "Dès que les Romains surent que les Gaulois avaient passé les Alpes, ils envoyèrent le consul L. Émilius avec une armée à Ariminum, pour barrer la route à l'ennemi s'il voulait entrer par-là. Un des préteurs fut dépêché en Étrurie. Quant à l'autre consul, C. Atilius, il était déjà parti pour la Sardaigne avec ses légions. A Rome, tout le monde tremblait ; on se croyait sous le coup du danger le plus grave, le plus redoutable ; c'était d'ailleurs naturel, car la terreur répandue naguère par les Gaulois était encore présente à tous les esprits. Sous l'empire de cette impression, les Romains mobilisent leurs armées, en lèvent de nouvelles, recommandent à leurs alliés de se tenir prêts ; ils font venir de chaque province la liste des hommes en âge de porter les armes, pour bien savoir de quelles forces ils disposaient. Ils accumulèrent des réserves de blé, d'armes et d'autres munitions comme jamais encore on n'en avait vu. De toutes parts, on s'empressa de leur envoyer toutes sortes de secours ; car tous les Italiens étaient épouvantés par l'irruption des Gaulois et ce n'était plus, leur semblait-il, à Rome qu'ils venaient en aide, ce n'était plus pour son hégémonie que la guerre allait se faire ; c'étaient leur propre vie, leur patrie, leur territoire qui étaient en jeu. Delà l'empressement avec lequel ils se conformaient à toutes les instructions qu'on leur donnait."
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Polybe, Histoire générale, II, 24 : "Les consuls avaient avec eux quatre légions romaines, composées chacune de cinq mille deux cents fantassins et de trois cents cavaliers ; ils étaient tous les deux accompagnés de troupes auxiliaires, dont le total se montait à trente mille fantassins et deux mille cavaliers. Il y avait en outre quatre mille cavaliers et plus de cinquante mille fantassins fournis par les Sabins et les Étrusques, que le danger avait fait marcher au secours de Rome ; on les dirigea tous sur l'Étrurie, sous le commandement d'un préteur. Les montagnards de l'Apennin, Ombriens et Sarsinates, avaient mis sur pied à peu près vingt mille hommes, les Vénètes et les Cénomans vingt mille également. On les porta sur les frontières de la Gaule, pour faire une incursion sur les terres des Boïens et provoquer par cette diversion le rappel de l'armée déjà entrée en campagne. Telles étaient les troupes préposées à la défense des frontières. A Rome, on tenait prêt, pour parer à l'imprévu, un corps de réserve qui comptait vingt mille fantassins et quinze cents cavaliers romains, trente mille fantassins et deux mille cavaliers auxiliaires. Les rôles qu'on avait fait dresser portaient : chez les Latins, quatre-vingt mille fantassins et cinq mille cavaliers ; chez les Samnites, soixante-dix mille fantassins et sept mille cavaliers ; chez les Japyges et les Messapiens réunis, cinquante mille fantassins et seize mille cavaliers ; chez les Lucaniens, trente mille fantassins et trois mille cavaliers ; chez les Marses, les Marrucins, les Férentiniens et les Vestins, vingt mille fantassins et quatre mille cavaliers. Il y avait encore deux légions composées chacune de quatre mille deux cents fantassins et de deux cents cavaliers, qui tenaient garnison en Sicile et à Tarente. Les levées faites parmi les gens du peuple à Rome et en Campanie donnèrent à peu près deux cent cinquante mille hommes d'infanterie et vingt-trois mille de cavalerie ; de sorte que le total des citoyens et des auxiliaires en état de porter les armes était de plus de sept cent mille fantassins et d'environ soixante-dix mille cavaliers."
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Strabon, Géographie, V, 1, 9 : "Indépendamment des Hénètes et des Istriens, lesquels s'étendent, avons-nous dit, jusqu'à Pola, la Transpadane nous offre encore plusieurs autres peuples : ainsi, au-dessus des Hénètes, habitent les Carnes, les Cénomans, les Médoaques et les Insubres. Une partie de ces peuples fut toujours hostile aux Romains. Quant aux Cénomans et aux Hénètes, ils figurent, dès avant l'invasion d'Annibal, comme alliés des Romains et prennent part en cette qualité non seulement aux guerres contre les Boiens et les Insubres, mais encore à d'autres guerres plus récentes."
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Tite-Live, Histoire romaine (Periochae), XX : "Des Gaulois transalpins, qui avaient fait irruption en Italie, sont massacrés. Dans cette guerre, le peuple romain, d'après Fabius, eut huit cent [mille] hommes sous les armes, Romains ou Latins. Les armées romaines ayant pour la première fois traversé le Pô, les Gaulois Insubres, mis en déroute dans plusieurs combats, viennent se soumettre." |
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