(1) peuple rougissant / ceux de la honte ; (2) ceux qui portent la rukka ; (3) ?
Localisation:
En Basse-Bavière ?
Runicates
Localisation
Peuple de la Vindélicie, par la suite rattaché à la province de Rhétie et Vindélicie. Comme beaucoup de populations de cette région, sa localisation précise n'est guère aisée, tant les indices laissés par les auteurs de l'antiquité sont minces. La plus ancienne attestation de ce peuple figure sur la transcription de l'inscription honorifique du Trophée des Alpes faite par Pline (Histoire naturelle, III, 137). Ce témoignage est d'autant plus précieux qu'il apparaît une logique géographique dans cette énumération de peuples du pourtour des Alpes. Ainsi, d'après ce document, il conviendrait donc de placer ce peuple dans le voisinage des Cosuanètes et des Licates, populations mal localisées, hélas. Le seul indice véritablement exploitable est fourni par Ptolémée, qui les situe sans autre précision dans le nord de la Vindélicie (Géographie, II, 12, 4). Sur la base de conjectures toponymiques, C.-A. Walckenaer (1839) localisait ce peuple dans la région de Wertach im Allgäu (Bavière, Allemagne), entre le Lech et l'Iller. D'autres hypothèses ont été formulées, mais toutes sont assez peu étayées. Depuis le XIXe s., on a coutume de localiser ce peuple dans l'extrémité nord-est de la Vindélicie, et parfois plus précisément entre l'Isar, le Danube et l'Inn, soit le centre et l'ouest de l'actuel district de Basse-Bavière. Cette dernière opinion est aujourd'hui encore défendue par R. J. A. Talbert (2000) Cette hypothèse est assez séduisante, puisque deux des rares attestations de cet ethnonyme figurent sur des diplômes militaires délivrés à des soldats établis à Quintana, l'actuelle Künzing, qui se trouve justement au coeur même de la Basse-Bavière.
Attestations et étymologie
Ils furent mentionnés sous la forme Ῥουκάντιοι par Strabon (Géographie, IV, 6, 8), sous la forme RVCINATES (var. IRVCINATES) par Pline, dans sa retranscription de l'inscription honorifique du Trophée des Alpes (Histoire naturelle, III, 137) ou encore Ῥουνικάται par Ptolémée (Géographie, II, 12, 4). Longtemps, l'attestation fournie par Pline a été considérée comme la plus sûre, celle de Strabon était vue comme une variante (Bernardo Stempel, 2015), tandis que celle de Ptolémée, serait une métathèse de la forme considérée originale, Rucinates (Falileyev et al, 2010). Ces considérations ont amené à plusieurs propositions visant à expliquer cet ethnonyme. A. Falileyev et al (2010) et X. Delamarre (2023) y voient un composé en *rucci-n-ates, s'expliquant par le gaulois *rucco-, signifiant "honte / rougissement", associé au suffixe d'appartenance *-ati-. Suivant cette hypothèse, il conviendrait de traduire ce nom par "peuple rougissant" (Falileyev et al, 2010) ou "ceux de la honte" (Delamarre, 2023), rendant fort probable le fait qu'il s'agirait d'un hétéro-ethnonyme. P. de Bernardo Stempel (2015) y voit quant à elle un dérivé d'un hypothétique *roukkina (Cf. gallois rhuchen, "pourpoint / veste / manteau"), terme dérivant lui-même d'un tout aussi hypothétique *roukka (Cf. gallois rhuch, "vêtement / manteau"). Suivant cette idée, les Ῥουκάντιοι seraient littéralement "ceux qui portent une roukka". Ces différents points de vue se heurtent cependant à plusieurs attestations épigraphiques concordantes sur la forme. On relève en effet RVNI/CAS sur une inscription de Mayence (CSIR-D-02-05, 104 ; AE 1940, 114) ou encore RVNIC(ATI) sur le diplôme de Künzing (144 ap. J.-C.) (AE 2004, 1065) et sur le diplôme de Künzing (160 ap. J.-C.) (RMD-04, 278 ; AE 1999, 1190 ; 1999, 1191 ; 2000, 1139 ; 2002, 1084), soit des formes tout à fait concordantes avec celle transmise par Ptolémée.
Histoire
● La conquète romaine
Ayant pris pour prétexte des incursions rhètes dans le nord de l'Italie, et les faits de brigandage récurrents les Romains se lancèrent dans la conquête de l'ensemble de l'arc alpin. L'objectif était de prendre le contrôle de l'ensemble des voies de communication franchissant les Alpes afin de les sécuriser et de les ouvrir aux commerçants italiens. En 15 av. J.-C., Nero Claudius Drusus et Tiberius Claudius Nero lancèrent leurs troupes à travers les Alpes et ne tardèrent pas à prendre en étau la Rhétie et la Vindélicie et à les écraser. Au terme de cette rapide conquête, les Romains dépeuplèrent largement les zones tombées sous leur contrôle en réduisant une portion notable de la population en esclavage. Les rares textes évoquant cette campagne ne mentionnent pas les Runicates, cependant leur mention sur l'inscription honorifique du Trophée des Alpes suffit à démontrer qu'ils partagèrent le même sort que l'ensemble des peuples de la confédération des Vindéliques.
Immédiatement après la conquête, les Romains fondèrent la colonie d'Augusta Vindelicorum (vers 15 av. J.-C.) au débouché de plusieurs vallées alpines constituant des couloirs naturels vers l'Italie, où plusieurs garnisons furent stationnées. L'ensemble de la Vindélicie fut quant à elle constituée en district militaire.
Pour célébrer les victoire remportées dans l'arc alpin, les Romains édifièrent le Trophée des Alpes (7-6 av. J.-C.), sur lequel les Runicates furent mentionnés comme l'un de quatre peuples de la confédération des Vindéliques vaincus.
● La romanisation
La colonie d'Augusta Vindelicorum fut incontestablement le principal centre administratif et le site depuis lequel la culture romaine se diffusa dans une grande partie du district militaire. Les peuples qui constituaient la confédération des Vindéliques ne parvinrent visiblement pas à s'organiser en cités, si bien que leurs territoires semblent avoir été administrés depuis cette ville. Ces peuples ne disparurent pas pour autant, puisque différentes attestations épigraphiques mentionnent encore des personnes revendiquant cette appartenance aux Ier et IIe s. ap. J.-C.
Vers la fin du Ier s. ap. J.-C., le dictrict militaire fut structuré en province, laquelle prit le nom de Rhétie et Vindélicie.
Sources littéraires anciennes
Strabon, Géographie, IV, 6, 8 :"Quant aux Vindoliques, ils bordent, ainsi que les Noriques, le versant extérieur des Alpes et se trouvent presque partout mêlés aux Breunes et aux Genaunes, lesquels appartiennent déjà à l'Illyrie. Tous ces peuples, par leurs continuelles incursions, ont longtemps inquiété les cantons de l'Italie les plus rapprochés d'eux, ainsi que les frontières des Helvètes, des Séquanes, des Boiens et des Germains. Mais il y en avait dans le nombre qui étaient réputés plus turbulents que les autres, c'étaient, parmi les Vindoliques, les Licattiens, les Clautenates et les Vennons, et, parmi les Rhaetes, les Rucantiens et les Cotuantiens. Les Estions comptent aussi parmi les tribus Vindoliques, et les Brigantiens pareillement. Les principales villes de la Vindolicie sont Brigantium, Cambodunum, et aussi Damatia, qui est comme l'acropole ou le château fort des Licattiens. Le fait suivant pourra du reste faire juger de l'acharnement de ces brigands contre les Italiens : toutes les fois qu'ils surprennent un village ou une ville, non seulement ils égorgent en masse la population virile, mais ils étendent leur fureur jusqu'aux petits garçons à la mamelle, et, sans s'arrêter là encore, ils massacrent les femmes enceintes que leurs prêtres ou devins leur désignent comme devant mettre au jour des fils."
Sources épigraphiques (1)
Mayence (CSIR-D-02-05, 104 ; AE 1940, 114) NVNADVS / SACRI F(ILIVS) RVNI/CAS MILES EX C(O)HO(RTE) RAET(ORVM) ET / VINDELICO(RVM) / ANNO(RVM) XXXIIII / STIP(ENDIORVM) XI H(IC) S(ITVS) E(ST) / HERED(E)S / |(CENTVRIO) RVFVS / ET MVNNIS
"Nunadus, fils de Sacer, runicate, soldat dans la cohorte Raetorum et Vindelicorum, âgé de 34 ans, 11 années de service, repose ici. Ses héritiers, le centurion Rufus et Munnis (ont érigé ce monument)."
L'inscription du Trophée de La Turbie (selon Pline, Histoire naturelle, III, 136-137) IMP(ERATORI) CAESARI DIVI FILIO AVG(VSTO) PONT(IFICI) MAX(IMO) IMP(ERATORI) XIIII TR(IBVNICIA) POT(ESTATE) XVII S(ENATVS) P(OPVLVS)Q(VE) R(OMANVS) QVOD EIVS DVCTV AVSPICIISQVE GENTES ALPINAE OMNES QVAE A MARI SVPERO AD INFERVM PERTINEBANT SVB IMPERIVM P(OPVLI) R(OMANI) SVNT REDACTAE GENTES ALPINAE DEVICTAE TRIVMPILINI CAMVNNI VENOSTES VENNONETES ISARCI BREVNI GENAVNES FOCVNATES VINDELICORVM GENTES QVATTVOR COSVANETES RVCINATES LICATES CATENATES AMBISONTES RVGVSCI SVANETES CALVCONES BRIXENETES LEPONTI VBERI NANTVATES SEDVNI VARAGRI SALASSI ACITAVONES MEDVLLI VCENNI CATVRIGES BRIGIANI SOGIONTI BRODIONTI NEMALONI EDENATES VESVBIANI VEAMINI GALLITAE TRIVLLATI ECDINI VERGVNNI EGVI TVRI NEMATVRI ORATELLI NERVSI VELAVNI SVETRI
• P. de Bernardo Stempel, (2015) - "Zu den keltisch benannten Stämmen im Umfeld des oberen Donauraums", in : U. Lohner-Urban & P. Scherrer (eds.), Der obere Donauraum 50 v. bis 50 n. Chr., Region im Umbruch, band 10, Frank & Timme GmbH, Berlin, S.83-99
• X. Delamarre, (2023) - Dictionnaire des thèmes nominaux du gaulois (II. Lab- / Xantus), Les Cent Chemins, 570p. • A. Falileyev et al., (2010) - Dictionary of Continental Celtic Place-Names. A Celtic Companion to the Barrington Atlas of the Greek and Roman World, CMCS Publications, Aberystwyth, 249p.
• R. J. A. Talbert, (2000) - Barrington Atlas of the Greek and Roman World, Princeton University Press, Princeton & Oxford, 280p.
• C.-A. Walckenaer, (1839) - Géographie ancienne historique et comparée des Gaules cisalpine et transalpine. Tome II, Librairie de P. Dufart, Paris, 520p.
• Julien Quiret pour l'Arbre Celtique