Province de Teruel, communauté autonome d'Aragon, Espagne
Capitale:
Turda / Turba / Turbola / Turbula (non-localisée)
Turbolètes
Localisation
Peuple de la péninsule ibérique, appartenant à la confédération des Celtibères, il fut par la suite rattaché à la province romaine d'Hispanie citérieure. Selon Appien (Ibérique, X) et Tite-Live (Histoire romaine, XXI, 6 ; XXIV, 42 ; XXVIII, 39), leur territoire était dans le voisinage immédiat de celui des Sagontins (nord de la province de Valence, Espagne). Un autre indice est fourni par Tite-Live dans son récit du triomphe de Quintus Minucius Thermus (195 av. J.-C.), puisqu'il indique que furent notamment pris aux Turbolètes 278000 deniers d'argent frappés à Osca (Huesca, Aragon, Espagne), qui était une ville des Illergètes, peuple de la rive gauche de l'Èbre. Compte-tenu de ces indices, les Turbolètes sont communément localisés dans la région de Teruel (Aragon, Espagne) (Burillo Mozota, 1998). Leur capitale était Turda / Turba (non-localisée). On pourrait envisager de reconnaître le nom de cette même ville derrière celui de Τούρβουλα "Turbola / Turbula", que Ptolémée situe étonnamment sur le territoire des Bastétains (Géographie, II, 6, 61).
Attestations et étymologie
Ce peuple fut mentionné sous le nom de Τορβολήτας par Appien (Ibérique, X). En revanche, Tite-Live les dénomme Turdetanis (Histoire romaine, XXI, 6) et Turdetanos (Histoire romaine, XXIV, 42), et précise que leur territoire était dénommé Turdetania(m) (Histoire romaine, XXVIII, 39). Les deux auteurs évoquent assurément le même peuple, comme le démontre le fait que le passage tiré de l'ouvrage d'Appien (Ibérique, X) évoque le même événement que celui décrit par Tite-Live (Histoire romaine, XXI, 6). Il y a donc manifestement chez cet auteur une confusion majeure avec les Turdétans, peuple de l'actuelle Andalousie, qu'aucun autre auteur ne mentionne dans le voisinage de Saguntum (Sagonte, province de Valence, Espagne). La variante donnée par Appien semble correcte, à en juger par le toponyme Τούρβουλα figurant dans la Géographie de Ptolémée (II, 6, 61), cependant la signification de cet ethnonyme demeure énigmatique.
Protohistoire
Du point de vue archéologique, la région de Teruel fait effectivement partie de la portion orientale de la Celtibérie. A. J. Lorrio (1997) l'associe à la région Haut-Tage - Haut-Jalón, où des traces d'habitats propres à cette culture, s'échelonnent de la période Protoceltibère à la période Celtibère tardive (IXe-Ier s. av. J.-C.) et des nécropoles couvrant toute la période Celtibère (VIe-Ier s. av. J.-C.). Le modeste habitat fortifié d'Alto Chácon (Teruel) est le seul qui puisse leur être assurément attribué.
Les Turbolètes étaient des locuteurs de la langue celtibère. Ceci est notamment démontré par la découverte, non-loin de Teruel, des inscriptions rupestres de Peñalba de Villastar, datées du IIe ou du Ier s. av. J.-C. (Burillo Mozota, 1998 ; Lloris et al., 2005). Le fait que cette population ait bel et bien été locutrice de la langue celtibère est également attestée par l'onomastique, et notamment le nom de chefs que les auteurs antiques leur attribuent, sur la période comprise entre la fin du IIIe et le début du IIe s. av. J.-C.
Histoire
● L'alliance avec Carthage et ses conséquences
En tant qu'alliés de Carthage, les Turbolètes ont activement participé à l'incident qui a déclenché la Seconde guerre punique. En effet, à la demande d'Hannibal Barca, les Turbolètes portèrent officiellement plainte auprès du sénat de Carthage et d'y accuser les Sagontains, alliés de Rome, d'envahir leur territoire. En plus des courriers apportés par les ambassadeurs turbolètes, y ajouta de fausses correspondances prêtées aux Romains, dans lesquelles ces derniers inciteraient les populations ibériques à se soulever contre Carthage. Grâce à cette manigance, Hannibal obtint du sénat de Carthage l'autorisation d'agir à sa guise. En conséquence, il dévasta le territoire des Sagontains et assiégea Saguntum (219-218 av. J.-C.), déclenchant ainsi la Seconde guerre punique (Appien, Ibérique, X ; Tite-Live, Histoire romaine, XXI, 6).
Alors que la guerre s'éternisait et que l'armée d'Hannibal dévastait l'Italie, les Romains parvenaient quant à eux à consolider leurs positions dans la péninsule ibérique. En 212 av. J.-C., après de nombreux succès remportés sur les troupes d'Hasdrubal Barca dans le sud de la péninsule ibérique, les Romains délivrèrent enfin Saguntum et vainquirent les Turbolètes. Le sort que les Romains réservèrent à ces derniers fut terrible, leur capitale fut prise et rasée, tandis que ses défenseurs furent vendus à l'encan (Tite-Live, Histoire romaine, XXIV, 42).
Les Turbolètes ne furent plus mentionnés par la suite. La mention qui fut faite de ce peuple dans la Géographie de Ptolémée laisse entendre qu'une partie - au moins - de leur territoire fut par la suite attribuée aux Bastétans (II, 6, 61), ce qui est plus qu'étonnant au regard de la distance qui séparait ces deux territoires. Un rattachement au territoire de la cité des Édétans serait nettement plus envisageable.
Sources littéraires anciennes
Appien, Ibérique, X :"Considérant que la traversée de l'Iberus serait un commencement brillant, il demanda aux Turbuletes, voisins des Sagontains, de porter plainte chez lui en prétendant que ces derniers envahissaient leur pays et leur faisaient beaucoup d'autres maux. Ils déposèrent cette plainte. Alors Hannibal envoya leurs ambassadeurs à Carthage, et écrivit des lettres privées disant que le Romains incitaient l'Espagne carthaginoise à se révolter, et que le habitants de Sagonte coopéraient avec le Romains dans ce but. Il ne renonça pas à cette tromperie, mais continua à envoyer des messages de la sorte jusqu'à ce que le sénat carthaginois l'autorise à faire avec les Sagontains ce qui lui semblait bon. Pour avoir un prétexte, il s'arrangea pour que les Turbuletes viennent de nouveau déposer plainte contre le Sagontains, et que ces derniers lui envoient aussi des ambassadeurs. Quand Hannibal leur demanda d'expliquer leurs différents devant lui, ils répondirent qu'ils devaient s'en référer d'abord à Rome. Hannibal leur ordonna alors de sortir de son camp, et la nuit suivante il traversa l'Iberus avec toute son armée entière, dévasta le territoire des Sagontains, et installa des machines contre leur ville. Ne pouvant pas la prendre, il l'entoura d'un mur et d'un fossé, plaça de nombreuses garnisons, et a fit le siège à intervalles."
Tite-Live, Histoire romaine, XXI, 6 :"La guerre n'avait pas encore commencé avec Sagonte ; mais déjà des contestations, germes de guerre, lui étaient suscitées avec ses voisins surtout avec les Turdétans. L'auteur même du litige se présentait pour arbitre ; il était clair que la force, et non le droit, l'emporterait : les Sagontins alors envoyèrent à Rome une députation pour demander des secours contre l'ennemi dont ils se voyaient menacés. Publius Cornélius Scipion et Tibérius Sempronius Longus étaient consuls. La députation entendue dans le sénat, l'affaire mise en délibération, on fut d'avis de faire passer des députés en Espagne pour prendre des informations sur la situation des alliés : dans le cas où leur cause paraîtrait juste, les ambassadeurs devaient sommer Hannibal de ne plus inquiéter les Sagontins, alliés de Rome ; puis passer en Afrique, pour porter à Carthage les plaintes des alliés de Rome. La députation à peine décrétée n'était point encore partie, qu'on reçut, plus tôt qu'on ne s'y attendait, la nouvelle du siège de Sagonte. Alors l'affaire fut de nouveau déférée au sénat. Les uns assignaient pour département aux consuls l'Espagne et l'Afrique, et proposaient de combattre à la fois sur terre et sur mer, d'autres dirigeaient toutes les forces en Espagne, contre Hannibal ; d'autres enfin demandaient qu'on mît moins de précipitation dans une affaire de cette importance, et qu'on attendît le retour de la députation envoyée en Espagne. Cet avis, qui paraissait le plus sage, l'emporta : on pressa le départ des députés Publius Valérius Flaccus et Quintus Baebius Tamphilus ; ils avaient ordre d'aller trouver Hannibal à Sagonte, de se rendre à Carthage, s'il refusait de lever le siège, et même de demander qu'Hannibal leur fût livré en réparation de la rupture du traité."
Tite-Live, Histoire romaine, XXIV, 42 :"Déjà les Carthaginois se portèrent sur Munda; les Romains les y suivirent. On s'y battit en ligne pendant près de quatre heures. Les Romains étaient évidemment victorieux lorsqu'on sonna la retraite. Scipion venait d'avoir la cuisse percée d'un coup de pique, et autour de lui les soldats avaient été saisis de la crainte que la blessure ne fût mortelle. Sans ce malheur, le camp des Carthaginois eût été pris ce jour-là. Déjà les soldats, les éléphants, avaient été poussés jusqu'aux retranchements et sous les retranchements mêmes, trente-neuf éléphants avaient été percés de traits. Dans ce combat, il y eut encore, dit-on, douze mille hommes de tués; trois mille à peu près furent pris avec cinquante-sept enseignes. Les Carthaginois se retirèrent vers la ville d'Auringis, où les Romains les poursuivirent pour profiter de leur terreur. Scipion, porté sur une litière, leur livra encore un combat, où la victoire ne fut pas douteuse. Toutefois on tua la moitié moins d'ennemis, parce qu'il restait moins de combattants. Mais cette nation était née pour faire la guerre et pour en réparer les pertes. Hasdrubal envoya son frère Magon pour lever de nouvelles troupes. Les cadres furent bientôt remplis, et ils inspirèrent à leur armée assez de résolution pour hasarder encore une bataille. Mais les soldats, bien différents de leurs généraux, combattant pour un parti tant de fois vaincu en quelques jours, marchèrent à l'ennemi dans les mêmes dispositions qu'auparavant et aussi avec le même malheur. Il y eut plus de huit mille hommes tués; on en prit à peu près mille avec cinquante-huit enseignes. Presque tout le butin se composa de dépouilles gauloises, de colliers d'or, de bracelets en grand nombre; il périt aussi à cette bataille deux chefs gaulois de distinction, Moeniaceptus et Vismarus. Huit éléphants furent pris, trois furent tués. En voyant leur succès en Espagne, les Romains rougirent enfin d'avoir laissé, depuis huit ans déjà, au pouvoir des ennemis la ville de Sagonte, cause première de cette guerre. Ils en chassèrent la garnison carthaginoise, reprirent la ville et la rendirent à ceux des anciens habitants qu'avaient épargnés les malheurs de la guerre. Quant aux Turdétans, qui avaient été cause de la guerre entre Sagonte et Carthage, ils les soumirent, les vendirent comme esclaves et rasèrent leur ville."
Tite-Live, Histoire romaine, XXVIII, 39 :"Enfin la Turdetania, qui nous était si hostile, que, cette nation restant intacte, Sagonte ne pouvait subsister, il l'a si bien abattue par les armes que non seulement pour nous - cela soit dit sans attirer la jalousie des dieux! - mais même pour nos descendants, elle n'est plus à redouter. Elle est détruite, sous nos yeux, la ville des hommes pour la faveur desquels Hannibal avait détruit Sagonte; nous tirons de leurs terres un tribut qui nous est moins agréable pour le profit que pour la vengeance."
Tite-Live, Histoire romaine, XXXIII, 26 :"Les préteurs tirèrent ensuite au sort leur département. L. Apustius Fullo eut la juridiction de la ville ; M. Acilius Glabrio celle des procès entre Romains et étrangers ; Q. Fabius Butéo l'Espagne ultérieure ; Q. Minucius Thermus la citérieure ; C. Laelius la Sicile ; Ti. Sempronius Longus la Sardaigne. Q. Fabius Butéo et Q. Minucius, qui étaient chargés des Espagnes, durent recevoir, au choix des consuls, chacun une des quatre légions enrôlées par ces magistrats, de plus, quatre mille hommes d'infanterie et trois cents chevaux fournis par les alliés et les peuples du nom latin. Ils eurent ordre aussi de partir au plus tôt pour leur département. La guerre d'Espagne éclata cinq ans après celle qui avait été terminée avec la guerre punique. Avant le départ des deux préteurs pour cette guerre toute nouvelle, puisque c'était la première fois que les Espagnols avaient pris les armes en leur propre nom, sans être soutenus par une armée ni commandés par un général de Carthage, avant même que les consuls sortissent de la ville, on leur recommanda d'expier, suivant l'usage, les prodiges dont on avait reçu la nouvelle."
Tite-Live, Histoire romaine, XXXIII, 44 :"On commençait à s'étonner de ce que l'insurrection de l'Espagne semblait oubliée, lorsqu'on reçut une lettre de Q. Minucius Thermus. Il annonçait qu'il avait livré bataille près de Turda aux généraux espagnols Budare et Baesado ; qu'il les avait vaincus et leur avait tué douze mille hommes ; que Budare était prisonnier, et que le reste des ennemis était en déroute. La lecture de cette dépêche diminua les craintes qu'on avait conçues sur l'Espagne ; on s'était attendu de ce côté à une guerre sérieuse. Toute l'attention se reporta sur Antiochus, surtout après le retour des dix commissaires."
Sources
• F. Burillo Mozota, (1998) - Los celtíberos : etnias y estados, Crítica, Barcelone, 424p.
• F. B. Lloris et al., (2005) - "Novedades epigráficas en Peñalba de Villastar (Teruel)", Palaeohispánica : Revista sobre lenguas y culturas de la Hispania antigua, vol.5, Actas del IX coloquio sobre lenguas y culturas paleohispánicas, Barcelona, 20-24 de octubre de 2004, pp.911-956
• A. J. Lorrio, (1997) - "Les Celtibères : archéologie et culture", Études celtiques, vol.33, pp.7-36
• Julien Quiret pour l'Arbre Celtique