Peuple de la Gaule belgique. Les limites de la cité des Leuques coïncidaient avec celles de l'ancien diocèse de Toul, avant l'érection des diocèses de Nancy et de Saint-Dié (1777), soit tout le sud du département du Meurthe-et-Moselle, le département des Vosges, l'extrémité sud de la Meuse et une partie de l'est de la Haute-Marne. La capitale pré-romaine de ce peuple fut probablement l'oppidum du Mont Châtel (Boviolles, Meuse). Celle-ci fut transférée au début de l'époque romaine à Nasium (Naix-aux-Forges, Meuse), puis à Tullum (Toul, Meurthe-et-Moselle).
Attestations et étymologie
Ce peuple fut mentionné à plusieurs reprises dans l'antiquité, en premier lieu dans les sources littéraires. Ainsi, César les appelle Leucos (Guerre des Gaules, I, 40), tandis que Lucain mentionne (au singulier) Leucus (Pharsale, I, 424). Ils furent désignés sous la forme Leuci par Pline (Histoire naturelle, IV, 106), in civitate Leucorum par Tacite (Histoires, I, 64) ou encore Ptolémée, sous la forme Λεῦκοι (Géographie, II, 9, 13). Notons aussi que Martial évoque à plusieurs reprises le tomentum Leuconicum, souvent traduit par "la bourre de Leuconium" (Épigrammes, XIV, 159-160). C. Jullian (1908) a émis l'hypothèse, fréquemment reprise par la suite, que ce nom dériverait de celui des Leuques ("la bourre leuconique"). En outre, l'épigraphie offre également quelques attestations. On notera tout d'abord des attestations indirectes, au sein de toponymes, tels que Tul(l)o Loucoru(m) "Tullum des Leuques" sur la tablette de Valkenburg (AE 1975, 634), possiblement [... TVLLVM LEVCO]RVM sur une borne milliaire d'Autun (CIL 17-02, 490b-c ; CIL 13, 2681b) et FORI LEVC(ORVM) "Forum des Leuques" (AE 2011, 788). On relève aussi la mention de CI(VIS) LEVCVS "citoyen leuque" sur des marques de verrier (AE 1941, 25 ; CIL 13, 10025,136 ; AE 1941, 27), du GENIO LEVC(ORVM) "Génie des Leuques" sur une inscription votive (CIL 13, 4630) ou encore deux mentions de la C(IVITAS) L(EVCORVM) "cité des Leuques" sur les bornes leugaires de Soulosse-sous-Saint-Élophe (CIL 17-02, 534 ; AE 1968, 313a et CIL 17-02, 535 ; AE 1968, 313b). Cet ethnonyme s'explique par le gaulois *leucos, qui signifie "clair / brillant", et possiblement "éclair". Ainsi, X. Delamarre (2003) propose de traduire leur nom par "les brillants / les fulgurants".
Histoire
● Protohistoire
Compte-tenu de la localisation de leur territoire, il est fort probable que les Leuques, tout comme leurs voisins septentrionaux (les Médiomatriques) et méridionaux (les Séquanes), aient eu à souffrir de l'invasion des peuples de la confédération des Suèves dans la première moitié du Ier s. av. J.-C.
● Guerre des Gaules
Les Leuques furent mentionnés pour la première fois au tout début de la guerre des Gaules (58-51 av. J.-C.). En effet, en 58 av. J.-C., alors que César se trouvait à Vesontio et travaillait à ravitailler ses troupes en vue d'affronter les Suèves d'Arioviste, les Séquanes, les Lingons et les Leuques lui fournirent du blé (César, Guerre des Gaules, I, 40). Ils ne furent plus mentionnés par César au cours de ce conflit, impliquant qu'ils se tinrent à distance de tous les soulèvements gaulois. Cette posture ne s'explique évidemment pas par une quelconque répugnance vis-à-vis de la guerre, puisqu'un passage de la Pharsale de Lucain indique que les Leuques étaient réputés pour leurs lanceurs de javelines (Pharsale, I, 424). Dans la même région, les Médiomatriques, furent eux-même très discrets au cours de ce conflit (1), tandis que les Rèmes et les Lingons étaient deux des principaux alliés de Rome. Plusieurs hypothèses complémentaires peuvent donc être émises. Étaient-ils eux-mêmes des alliés de Rome, largement ignorés par César ? Étaient-ils tenus en respect par les Rèmes et les Lingons, alliés de Rome ? Étaient-ils davantage préoccupés par la proximité de leur territoire, avec la plaine d'Alsace, occupée par des peuples de la confédération des Suèves ?
● Intégration de la cité des Leuques à l'Empire romain
À partir de 20-19 av. J.-C., dans le cadre des vastes travaux routiers engagés par Marcus Vipsanius Agrippa, leur territoire fut traversé par un axe de communication majeur, aujourd'hui dénommée la "voie du Rhin", qui reliait Lugdunum (Lyon) aux régions rhénanes, par Andematunnum (Langres), Divodurum (Metz) et Augusta Treverorum (Trêves). L'oppidum du Mont Châtel (Boviolles, Meuse) était très excentré par rapport à cette importante voie de communication, mais occupait cependant une place de choix au carrefour de deux axes secondaires permettant de gagner cette fameuse "voie du Rhin" ; une route menant à Divodurum (Metz), et une autre venant de Durocortorum (Reims). Ainsi, lorsqu'en cette fin de Ier s. av. J.-C., les Leuques délaissèrent l''oppidum du Mont Châtel, ils édifièrent en contrebas une nouvelle métropole, Nasium (Naix-aux-Forges, Meuse), suivant le modèle romain. Cette ville grandit rapidement et se dota d'une parure monumentale entre le dernier tiers du Ier s. av. J.-C. et le dernier tiers du Ier s. ap. J.-C. (Frigério & Nikiforoff, 2001 ; Dechezleprêtre & Bonaventure, 2011 ; Vipard & Toussaint, 2015).
● La cité des Leuques au Bas-Empire
Entre le dernier quart du IIe s. et le début du IIIe s. ap. J.-C., la ville de Nasium déclina, ce qui se traduisit par un démantèlement d'une partie de sa parure monumentale et la perte de son statut de métropole (Vipard & Toussaint, 2015). Il est en effet probable que cette phase coïncida avec le transfert de la métropole des Leuques à Tullum (Toul, Meurthe-et-Moselle), ville située au carrefour entre la voie venant de Durocortorum et la "voie du Rhin".
Dans le cadre de la réforme provinciale de Dioclétien (dernière décennie du IIIe s. ap. J.-C.), la province de Gaule belgique fut divisée en deux nouvelles provinces. À cette occasion, la cité des Leuques intégra la province de Belgique première.
Soumise aux raids répétés des Alamans, la cité des Leuques se dota de fortifications au Bas-Empire. Ainsi, Tullum fut fortifiée entre la fin du IIIe s. et le début du IVe ap. J.-C., tout comme Solimariaca (Soulosse-sous-Saint-Élophe, Vosges). Suivant M. Kasprzyk (2019), ces deux villes étaient partie prenantes d'un vaste système de fortifications disposées entre Lugdunum et Divodurum, le long de la "voie du Rhin".
Notes
(1) Contrairement aux Leuques, ils envoyèrent cependant un contingent à l'armée de secours, au cours de l'été 52 av. J.-C.
Sources littéraires anciennes
César, Guerre des Gaules, I, 40 :"Ceux qui cachent leurs craintes sous le prétexte des subsistances et de la difficulté des chemins sont bien arrogants de croire que le général puisse manquer à son devoir, ou de le lui prescrire. Ce soin lui appartient ; le blé sera fourni par les Séquanes, les Leuques, les Lingons ; déjà même il est mûr dans les campagnes. Quant au chemin ils en jugeront eux-mêmes dans peu de temps."
Lucain, Pharsale, I, 419-442 :"On voit flotter les enseignes et dans les campagnes de Reims, et sur les rives de l'Adour, où l'habitant de Tarbes voit la mer doucement expirer dans un golfe arrondi. Le Santon salue avec allégresse le départ de l'ennemi, le Biturge, le Suesson qui manie lestement ses longues armes, le Leuque et le Rémois habiles à darder le javelot, le Séquane qui excelle à faire tournoyer les coursiers, le Belge, habile conducteur du char armé d'éperons, l'Arverne, issu du sang troyen et qui se prétend notre frère, le Nervien rebelle, que souille encore le sang de Cotta, le Vangion vêtu des larges braies du Sarmate, le farouche Batave qu'excite le bruit des clairons d'airain, l'habitant des rives de l'errante Cinga, celui du Rhône, qui entraîne l'Arare dans ses flots rapides, ceux qui habitent la cime des Cévennes, suspendue sur des roches chenues, et toi aussi, Trévire, tu te réjouis de voir la guerre changer de théâtre."
Martial, Épigrammes, XIV, 159 :"LA BOURRE DE LEUCONICUM. La plume, sous le poids de ton corps, te laisse-t-elle sentir de trop près la sangle, pends cette bourre tondue sur les étoffes de Leuconicum."
Martial, Épigrammes, XIV, 160 :"LA BOURRE DU CIRQUE. On appelle bourre du Cirque le jonc de nos marais : au pauvre elle tient lieu de la bourre de Leuconicum."
Pline, Histoire naturelle, IV, 106 :"A l'Escaut, l'extérieur est habité par les Toxandres, divisés en plusieurs peuplades ; puis viennent les Ménapiens, les Morins, les Oromansaques, attenants au bourg appelé Gessoriacum ; les Bretons, les Ambianiens, les Bellovaques ; dans l'intérieur, les Catusiuges, les Atrébates, les Nerviens, libres ; les Véromanduens, les Suécons, les Sassions, libres ; les Ulmanètes, libres ; les Tongres, les Sunuques, les Frisiabons, les Betases, les Leuciens, libres ; les Trévères, libres auparavant, alliés maintenant ; les Lingons, alliés ; les Rèmes, alliés ; les Médiomatriques, les Séquanes, les Rauriques, les Helvétiens : colonies, Équestris et Raurica ; sur le Rhin, peuplades germaniques habitant la Gaule Belgique : les Némètes, les Triboques, les Vangions ; puis les Ubiens, la colonie d'Agrippine, les Gubernes, les Bataves, et ceux dont nous avons parlé à propos des îles du Rhin."
Tacite, Histoires, I, 64 :"La nouvelle de l'assassinat de Galba et de l'élévation d'Othon parvint à Valens dans le pays des Leuques. Le soldat n'en conçut ni joie ni frayeur; il ne rêvait que la guerre. Quant aux Gaulois, leur incertitude n'avait plus de motifs; et, s'ils haïssaient également Vitellius et Othon, ils craignaient de plus Vitellius. La cité la plus voisine était celle des Lingons, dont on était sûr."
"À la déesse Epona et au Génie des Leuques. Tibérius Iustinius Titianus, bénéficiaire du légat de la légion XXII Primigenia Pia Fidelis Antoniniana, en conséquence d'un voeu, a posé."
• T. Dechezleprêtre & B. Bonaventure, (2011) - "Nasium : de l'oppidum à l'agglomération gallo-romaine", in : M. Reddé et al. (dir.), Aspect de la romanisation dans l'est de la Gaule, Bibracte 21, vol.1, Glux-en-Glenne, pp.129-144
• X. Delamarre, (2003) - Dictionnaire de la langue gauloise, Errance, Paris, 440p. • P. Frigério & N. Nikiforoff, (2001) - "Nasium - Agglomération antique à Naix-aux-Forges et Saint-Amand-sur-Ornain", Archéologie de la France - Information (AdlFI), Grand Est, 3p.
• C. Jullian, (1908) - Histoire de la Gaule. Tome 2 : La Gaule indépendante, Hachette et cie., Paris, 557p.
• M. Kasprzyk, (2019) - "Les enceintes du Bas-Empire entre Lyon et Metz : état de la question, analyse du réseau et fonctions", in : D. Bayard & J.-P. Fourdrin (dir.), Villes et enceintes du Bas-Empire dans le Nord de la Gaule, Actes du colloque de Lille, 23-25 mars 2015, coll. Revue du Nord. Hors série. Collection Art et Archéologie, pp.187-212
• P. Vipard & P. Toussaint, (2015) - "Les espaces cultuels de Forum Leucorum / Nasium (Naix-aux-Forges, St-Amand-sur-Ornain, Boviolles, Meuse)", in : T. Dechezleprêtre et al. (dir.), Agglomérations et sanctuaires. Réflexions à partir de l'exemple de Grand, Actes du colloque de Domrémy-la-Pucelle, 20-23 octobre 2011, coll. Grand. Archéologie & Territoire, 2, pp.147-165
• Pierre Crombet pour l'Arbre Celtique
• Julien Quiret pour l'Arbre Celtique