Campagne de Quintus Titurius Sabinus contre les peuples du nord de l'Armorique (été 56 av. J.-C.)
Dans le cadre de la réorganisation de ses troupes, visant à faire face à la fois soulèvement des peuples armoricains et à la crainte de voir naître d'autres soulèvements, César confia trois légions (1) au légat Quintus Titurius Sabinus et le dépêcha dans le nord de l'Armorique. Ce légat avait pour mission de dissuader les Unelles, les Coriosolites et les Lexoviens, alliés des Vénètes, de prendre part à la guerre (César, Guerre des Gaules, III, 11 ; Dion Cassius, Histoire romaine, XXXIX, 45). Fort étonnamment, cette mission ne visait pas les Ésuviens, qui aux côtés des Vénètes et des Coriosolites, furent les co-instigateurs de la révolte des Armoricains, ce qui amène à penser que les sources antiques n'ont conservé que partiellement l'histoire de ce conflit.
Dans le nord de l'Armorique, ce furent les Unelles, avec à leur tête Viridovix, qui menèrent les hostilités. Ils avaient réussi à fédérer autour d'eux différents peuples de la région, mais également de nombreux aventuriers. Quelques jours seulement avant l'arrivée de Quintus Titurius Sabinus, les insurgés furent rejoints par Léxoviens et les Aulerques Éburovices, dotant ainsi Viridovix de forces conséquentes (Guerre des Gaules, III, 17).
Dés le début du récit du conflit, César indique que le camp de Quintus Titurius Sabinus et celui de Viridovix se faisaient face, à seulement 2000 pas l'une de l'autre (2), sans préciser si ce fut le légat qui vint faire camper ses troupes devant celles du chef gaulois, ou l'inverse. Toujours est-il que sûr de sa supériorité, Viridovix assemblait quotidiennement ses troupes en ordre de bataille, et que Quintus Titurius Sabinus refusa systématiquement le combat. Ce refus fut perçu comme une preuve d'effroi par les Gaulois, et comme une marque de faiblesse par ses propres soldats. En réalité, Quintus Titurius Sabinus refusait tout autant le combat parce qu'à ses yeux, il n'appartenait qu'à César lui-même d'engager le combat face à tant d'ennemis, à moins de bénéficier d'avantages stratégiques incontestables (César, Guerre des Gaules, III, 17 ; Dion Cassius, Histoire romaine, XXXIX, 45).
Voyant l'assurance des Gaulois augmenter de jour de jour, Quintus Titurius Sabinus développa un stratagème pour pousser les Gaulois à prendre des risques inconsidérés. En l'échange de rétributions conséquentes, il convainquit un auxiliaire gaulois de l'armée romaine de feindre la trahison, pour intégrer les rangs des Armoricains et les désinformer. À peine arrivé dans le camp gaulois, il fit savoir à qui voulait bien l'entendre que Quintus Titurius Sabinus et ses troupes étaient terrorisés, que César était alors enveloppé par les Vénètes et, en conséquence, que le légat comptait quitter secrêtement son camp pour se porter au secours de César. Le transfuge fut cru et immédiatement, les Armoricains se préparèrent à attaquer le camp romain, bien que celui-ci fut situé sur une position plus que défavorable pour les assaillants (César, Guerre des Gaules, III, 18 ; Dion Cassius, Histoire romaine, XXXIX, 45).
Embarrassés de sarments et de broussailles destinés à combler le fossé romain, les Gaulois se précipitèrent et gravirent les pentes de l'éminence sur laquelle était juché le camp romain. Cette précipitation avait pour objectif de surprendre les Romains et de ne pas leur laisser le temps d'organiser leurs défenses. La contrepartie de cette précipitation fut que les Gaulois arrivèrent à bout de souffle, sur une position qui leur était défavorable, ce qui leur fut plus que désavantageux. En effet, les Romains les attendaient de pied ferme et, dés leur arrivée, sortirent de leur camp par deux portes, et tombèrent sur des Gaulois essoufflés et embarrassés de sarments et de broussailles. Compte-tenu de la position avantageuse des Romains, ils soutinrent facilement le premier choc et l'armée armoricaine se disloqua. Les soldats romains se lancèrent à la poursuite des troupes de Viridovix et leur infligea de nombreuses pertes (César, Guerre des Gaules, III, 19 ; Dion Cassius, Histoire romaine, XXXIX, 45).
À peine le combat s'acheva-t-il que les belligérants apprirent la victoire romaine sur les Vénètes et la capitulation de ces derniers. À cette annonce, toutes les villes de la région se rendirent sur le champ. Dés lors, parmi les peuples qui avaient pris part à la révolte des Armoricains, seuls les Morins et les Ménapes demeurèrent en conflit avec les Romains.
Notes
(1) Théoriquement, à la fin de l'époque républicaine, une légion comportait 6000 hommes. Les trois légions commandées par Quintus Titurius Sabinus équivalaient donc à 18000 hommes.
(2) Un mille romain équivalait à une distance comprise entre 1478 et 1481 mètres. Les deux camps étaient donc distants d'un peu moins de 3 kilomètres.
Sources littéraires anciennes
César, Guerre des Gaules, III, 11 : "Il envoie son lieutenant T. Labiénus avec de la cavalerie chez les Trévires, peuple voisin du Rhin. Il le charge de visiter les Rèmes et autres Belges, de les maintenir dans le devoir et de s'opposer aux tentatives que pourraient faire, pour passer le fleuve, les vaisseaux des Germains que l'on disait appelés par les Belges. Il ordonne à P. Crassus de se rendre en Aquitaine, avec douze cohortes légionnaires et un grand nombre de cavaliers, pour empêcher ce pays d'envoyer des secours dans la Gaule, et de si grandes nations de se réunir. Il fait partir son lieutenant Q. Titurius Sabinus, avec trois légions, chez les Unelles, les Coriosolites et les Lexovii, pour tenir ces peuples en respect. II donne au jeune D. Brutus le commandement de la flotte et des vaisseaux gaulois, qu'il avait fait venir de chez les Pictons, les Santons et autres pays pacifiés, et il lui enjoint de se rendre au plus tôt chez les Vénètes, lui-même en prend le chemin avec les troupes de terre."
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César, Guerre des Gaules, III, 17 : "Tandis que ces événements se passaient chez les Vénètes, Q. Titurius Sabinus arrivait sur les terres des Unelles avec les troupes qu'il avait reçues de César. Viridovix était à la tête de cette nation et avait le commandement en chef de tous les états révoltés, dont il avait tiré une armée et des forces redoutables. Depuis peu de jours les Aulerques Éburovices et les Lexovii, après avoir égorgé leur sénat qui s'opposait à la guerre, avaient fermé leurs portes et s'étaient joints à Viridovix. Enfin de tous les points de la Gaule était venue une multitude d'hommes perdus et de brigands que l'espoir du pillage et la passion de la guerre avaient arrachés à l'agriculture et à leurs travaux journaliers. Sabinus se tenait dans son camp situé sur le terrain le plus favorable, pendant que Viridovix, campé en face de lui à une distance de deux milles, déployait tous les jours ses troupes, et lui offrait la bataille, de sorte que Sabinus s'attirait non seulement le mépris des ennemis, mais encore les sarcasmes de nos soldats. L'opinion qu'il donna de sa frayeur était telle que déjà l'ennemi osait s'avancer jusqu'aux retranchements du camp. Le motif de Sabinus pour agir ainsi était qu'il ne croyait pas qu'un lieutenant dût, surtout en l'absence du général en chef, combattre une si grande multitude, à moins d'avoir pour lui l'avantage du lieu ou quelque autre circonstance favorable."
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César, Guerre des Gaules, III, 18 : "L'opinion de cette frayeur s'étant affermie, Sabinus choisit parmi les Gaulois qu'il avait près de lui comme auxiliaires, un homme habile et fin. Il lui persuade, à force de récompenses et de promesses, de passer aux ennemis, et l'instruit de ce qu'il doit faire. Dès que cet homme est arrivé parmi eux comme transfuge, il parle de la terreur des Romains, il annonce que César lui-même est enveloppé par les Vénètes, et que, pas plus tard que la nuit suivante, Sabinus doit sortir secrètement de son camp avec son armée, et partir au secours de César. Les Gaulois n'ont pas plus tôt entendu ce rapport qu'ils s'écrient tous qu'il ne faut pas perdre une occasion si belle, et qu'on doit marcher au camp des Romains. Plusieurs motifs excitaient les Gaulois : l'hésitation de Sabinus pendant les jours précédents, le rapport du transfuge, le manque de vivres, chose à laquelle on avait pourvu avec peu de diligence, l'espérance fondée sur la guerre des Vénètes, enfin cette facilité des hommes à croire ce qu'ils désirent. Décidés par tous ces motifs, ils ne laissent point sortir du conseil Viridovix et les autres chefs, qu'ils n'aient obtenu d'eux de prendre les armes, et de marcher contre nous. Joyeux de cette promesse, et comme assurés de la victoire, ils se chargent de sarments et de broussailles pour combler les fossés des Romains, et se dirigent vers leur camp."
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César, Guerre des Gaules, III, 19 : "Le camp était sur une hauteur à laquelle on arrivait par une pente douce d'environ mille pas. Ils s'y portèrent d'une course rapide, afin de laisser aux Romains le moins de temps possible pour se rassembler et s'armer, et arrivèrent hors d'haleine. Sabinus exhorte les siens et donne le signal désiré. II ordonne de sortir par deux portes et de tomber sur l'ennemi embarrassé du fardeau qu'il portait. L'avantage de notre position, l'imprévoyance et la fatigue des ennemis, le courage des soldats, l'expérience acquise dans les précédents combats, firent que les barbares ne soutinrent pas même notre premier choc, et qu'ils prirent aussitôt la fuite. Nos soldats, dont les forces étaient entières, les atteignirent dans ce désordre et en tuèrent un grand nombre. La cavalerie acheva de les poursuivre et ne laissa échapper que peu de ces fuyards. C'est ainsi que, dans le même temps, Sabinus apprit l'issue du combat naval, et César la victoire de Sabinus. Toutes les villes de cette contrée se rendirent sur-le-champ à Titurius ; car, si le Gaulois est prompt et ardent à prendre les armes, il manque de fermeté et de constance pour supporter les revers."
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Dion Cassius, Histoire romaine, XXXIX, 45 : "Pendant qu'il était encore dans la Vénétie, il envoya son lieutenant Q. Titurius Sabinus dans le pays des Unelles, qui avaient pour chef Viridovix. D'abord Sabinus fut tellement effrayé de leur nombre, qu'il s'estima heureux de sauver son camp ; mais ensuite il reconnut que ses craintes rendaient les Unelles plus audacieux, et qu'en réalité ils n'étaient pas redoutables ; car la plupart des barbares n'ont, pour inspirer de la terreur, que d'arrogantes et vaines menaces. Il reprit courage : cependant il n'osa pas encore en venir ouvertement aux mains avec eux (il était toujours intimidé par leur nombre) ; mais il les amena à attaquer imprudemment son camp, placé sur une hauteur. A cet effet il envoya, vers le soir, aux Unelles comme transfuge un de ses alliés qui parlait leur langue et qui devait leur persuader que César avait été battu. Les Unelles, hors d'état de réfléchir, parce qu'ils avaient bu et mangé avec excès, le crurent sans peine : ils marchèrent en toute hâte contre les Romains, comme s'ils avaient craint d'être prévenus par leur fuite (il ne fallait pas, disaient-ils, laisser échapper même le prêtre qui porte la torche). Emportant ou traînant des sarments et des fagots pour brûler les Romains, ils gagnèrent la hauteur où était le camp de Sabinus et la gravirent rapidement, sans éprouver aucune résistance. Sabinus ne bougea pas, avant que les barbares fussent tous sous sa main ; mais alors il fondit inopinément sur eux de tous les points, frappa d'épouvante les premiers qu'il rencontra et les précipita du haut de la montagne. Dans leur déroute, ils s'embarrassaient les uns les autres et dans les débris d'arbres dont ils étaient chargés. Sabinus les battit si rudement, que ni eux ni d'autres n'osèrent plus se mesurer avec les Romains ; car les Gaulois sont tous également entraînés par une fougue que rien ne règle, et n'ont de mesure ni dans la crainte ni dans l'audace : ils passent subitement de l'excessive confiance à la crainte et de la crainte à une aveugle confiance." |
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