Vénètes
Localisation
Peuple du sud de l'Armorique, à l'extrémité occidentale de la Gaule celtique, puis de la province de Gaule lyonnaise. Leur territoire correspondait certainement à celui du diocèse de Vannes avant 1790, soit l'actuel Pays Vannetais, limité à l'ouest par la Laïta, et à l'est par la Vilaine. Ainsi, ses frontières coïncidaient en partie avec celle de l'actuel département du Morbihan. Notons aussi que les Vénètes possédaient également les îles Veneticae, soit les îles de Belle-Île, Groix, Hoedic, Houat et Quiberon (1). À l'époque gallo-romaine, leur métropole était Darioritum (Vannes).
Attestations et étymologie
Les plus anciennes attestation de cet ethnonyme se trouvent dans la Guerre des Gaules de César, sous la forme Veneti et ses déclinaisons (II, 34 ; III, 7-11 ; 16-18). Par la suite, ce peuple fut mentionné sous la forme Οὐένετοι (et ses déclinaisons) par les auteurs grecs, tels que Strabon (Géographie, IV, 4, 1) et Ptolémée (Géographie, II, 8, 6). On relève aussi l'accusatif Οὐενέτους mentionné par Dion Cassius, supposant un nominatif Οὐενέτοι (Histoire romaine, XXXIX, 40). Enfin, la forme Veneti est commune à tous les auteurs latins, tels que Tite-Live (Histoire romaine (Periochae), CIV) et Pline (Histoire naturelle, IV, 107 ; 109) ou encore l'auteur de Table de Peutinger. Aussi, trois inscription antiques les mentionnent. Sur la première, un homme, Lucius Tauricius Florentus, est qualifié de VENETO (CIL 13, 1709) et les deux autres évoquent la C(IVITAS) V(ENETVM) (AE 1986, 490) et la R(EI) P(VBLICAE) CIVIT(ATIS) VENET(ORVM) (CIL 13, 2950). À partir du IIIe ap. J.-C., le nom de ce peuple et celui de sa métropole se sont peu à peu confondus, Darioritum est devenu ciuitas Venetum dans la Notice des Gaules et Benetis dans le Registre des Dignitaires (Occ. XXXVII, 5). D'après X. Delamarre (2003), le nom de ce peuple s'explique par le radical gaulois venet-, qui signifie "apparenté / amical / marchand". Selon le même auteur, cette étymologie amène à faire de ce nom un hétéro-ethnonyme, c'est à dire un ethnonyme donné par les populations voisines.
Les sources antiques nous font connaître quatre autres peuples qui portaient très exactement le même nom ; les Énètes de Paphlagonie, les Énètes d'Illyrie, les Vénètes de l'Adriatique et les Vénèdes / Vénètes de la Vistule. Aucune de ces populations n'étaient celtes. Nous ignorons à peu près tout des Énètes de Paphlagonie et d'Illyrie, par contre les Vénètes de l'Adriatique étaient des populations italiques et les Vénèdes / Vénètes de la Vistule étaient probablement les ancêtres d'une partie des Slaves. Cette étonnante homonymie renvoie très certainement à une racine indo-européenne commune *uen-et-(o)-, ayant pour sens "conquérant" ou "apparenté / ami" (Delamarre, 2003).
Histoire
● Protohistoire
L'hypothèse d'une parenté entre les Énètes de Paphlagonie, les Vénètes de l'Adriatique et les Vénètes de l'Armorique, fut discutée dés l'antiquité. Deux opinions divergentes étaient défendues. La première voulait que les Vénètes de l'Adriatique seraient les descendants de ceux de la Paphlagonie. La seconde voulait que Vénètes de l'Adriatique seraient les descendants de ceux de l'Armorique. Cette seconde position fut privilégiée par Strabon (Géographie, IV, 4, 1 ; V, 1, 4), puis Denys de Périégète (Eustathe de Thessalonique, Commentaire de Denys de Périégète, V, 378). La linguistique et l'archéologie permettent aujourd'hui de rejeter complètement cette hypothèse.
D'après César, les Vénètes étaient la nation la plus puissante de la côte atlantique. À la tête d'une imposante flotte, parfaitement adaptée aux conditions de navigation sur l'océan, ils commerçaient avec les îles britanniques. En outre, ils s'étaient attribué les plupart des ports situés sur la côte et étaient parvenus à imposer le prélèvement de droits sur tous les bateaux navigant dans ce secteur (César, Guerre des Gaules, III, 8 ; Strabon, Géographie, IV, 4, 1). De cette description fournie par César, on peut déduire que les Vénètes se sont attribués un large monopole sur le commerce avec les îles britanniques, et surtout, le contrôle d'une section essentielle de la route de l'étain. En effet, les flux se dirigeant vers la Loire et la Garonne, pour gagner le centre et le sud de la Gaule, transitaient nécessairement par leurs côtes et la possession des îles Veneticae a certainement joué un grand rôle dans l'établissement de cette domination.
● Guerre des Gaules
Les Vénètes entrèrent dans l'histoire au cours de l'automne 57 av. J.-C. À la tête de la seule légion VII, Publius Licinius Crassus Dives obtint leur soumission, mais aussi celle des Unelles, des Osismes, des Coriosolites, des Ésuviens, des Aulerques et des Redons, sans le moindre combat (Guerre des Gaules, II, 34).
Cette pacification ne fut qu'apparente. En effet, alors que la légion de Publius Licinius Crassus Dives souffrait du manque de ressources, le légat dépêcha Titus Terrasidius chez les Ésuviens, Marcus Trebius Gallus chez les Coriosolites et Quintus Velanius et Titus Sillius chez les Vénètes, afin d'obtenir d'eux des approvisionnements (Guerre des Gaules, III, 7). Contre toute attente, les Vénètes enlevèrent Quintus Velanius et Titus Sillius, et tentèrent de négocier leur libération auprès de Publius Licinius Crassus Dives, contre la restitution des otages donnés aux Romains l'automne précédent. Ils furent immédiatement imités par les autres peuples. Ces trois peuples s'unirent et gagnèrent à leur cause les autres peuples armoricains, qui enlevèrent à leur tour les envoyés de Crassus. Cette coalition de peuples grandit encore et s'agrégea autour des Vénètes, qui prirent le tête de ce soulèvement (Guerre des Gaules, III, 8 ; 9).
Afin de venir à bout de ce soulèvement, César réorganisa les forces romaines en Gaule, puis lança une triple offensive contre ces peuples : Quintus Titurius Sabinus fut envoyé chez les Unelles, Coriosolites et Léxoviens à la tête de trois légions, Decimus Iunius Brutus Albinus fut envoyé combattre les Vénètes à la tête de la flotte, tandis que César prit la route du territoire vénète par voie terrestre (Guerre des Gaules, III, 11). Après avoir pris d'assaut plusieurs villes vénètes, tout au long de l'été, César se trouva dans l'incapacité de remporter une victoire décisive contre ce peuple. En effet, les habitants de ces villes parvenaient systématiquement à s'en échapper par la mer, avec leurs biens, pour gagner les villes voisines, sans que la marine romaine n'eut pu les en empêcher (Guerre des Gaules, III, 12 ; 14). Cette stratégie des Vénètes fut donc très efficace, et reposait essentiellement sur leur indéniable supériorité en mer (Guerre des Gaules, III, 13 ; 14). Lorsque la flotte de Decimus Iunius Brutus Albinus parvint enfin à gagner la portion de littoral où se trouvaient les troupes de César, les navires vénètes tentèrent de profiter de cet avantage et passèrent à l'attaque. Contre toute attente, en dépit de la supériorité indéniable des navires gaulois, cette bataille navale opposant la flotte vénète aux galères romaines fut remportée par Decimus Iunius Brutus Albinus (Guerre des Gaules, III, 14 ; 15). Les conséquences de cette défaite furent terribles, car elle rendit impossible toute prolongation de la résistance. Ainsi, les Vénètes furent contraints de se rendre aux Romains. César fut impitoyable avec ces derniers. Tous les sénateurs furent exécutés et les derniers résistants des places qui n'étaient pas tombées sous les assauts des Romains furent vendus à l'encan (Guerre des Gaules, III, 16).
En 52 av. J.-C., les Armoricains levèrent un contingent de 20000 hommes pour l'armée de secours chargée de contraindre les Romains à lever le siège d'Alesia. Étonnamment, les Vénètes ne figuraient pas dans leurs rangs. On peut supposer que les conséquences de la défaite de 56 av. J.-C. furent telles, qu'ils ne furent plus en mesure de lever de nouvelles troupes.
En 51 av. J.-C., les Armoricains furent entraînés par Dumnacos dans une nouvelle révolte, puis rapidement matés par le légat Caius Fabius. Rien ne permet de dire si les Vénètes y prirent part.
● Intégration de la cité des Vénètes à l'Empire romain
En 27 av. J.-C., dans le cadre de la réorganisation administrative de la Gaule opérée par Auguste, le territoire des Vénètes fut intégré à la province de Gaule lyonnaise (Pline, Histoire naturelle, IV, 107). Quelques années plus tard, lorsque Auguste définit le statut des cités de la province (16-13 av. J.-C.), les Vénètes héritèrent du statut fiscal de cité stipendiaire, impliquant qu'ils étaient soumis au paiement du tribut (Pline, Histoire naturelle, IV, 107). Ce fut très certainement à cette même époque que les Vénètes édifièrent une nouvelle métropole sur un site indigène, suivant le modèle romain, Darioritum (Vannes).
● La cité des Vénètes au Bas-Empire
Dans le cadre de la réforme provinciale de Dioclétien (dernière décennie du IIIe s. ap. J.-C.), la province de Gaule lyonnaise fut divisée en deux nouvelles provinces. À cette occasion, la cité des Vénètes intégra la province de Lyonnaise seconde.
Entre la fin du IIIe s. et le début du IVe s. ap. J.-C., le litus saxonicum fut constitué pour lutter contre les incursions effectuées par les Saxons (mais également les Francs). Ce dispositif militaire reposait sur une série de fortifications édifiées sur les côtes de l'île de Bretagne et du nord et du nord-ouest de la Gaule, et dotées de garnisons. D'après le Registre de Dignitaires, deux de ces forteresses furent édifiées sur le territoire des Vénètes ; Blabia (Hennebont ou Port-Louis) et Benetis (Vannes). Elles étaient placées sous le commandement du dux tractus Armoricani et Nervicani (Registre de Dignitaires, XXXVII).
Lorsque cette province fut à sont tour divisée, lors de la réforme provinciale de Constantin (314 ap. J.-C.), la cité des Vénètes intégra finalement la province de Lyonnaise troisième.
Notes
(1) L'actuelle presqu'île de Quiberon constituait encore une île au XIe s., comme le rappellent les mentions Insula quae vocatur Keberoën et insula Keberoën dans une charte de 1037, conservée dans le Cartulaire de l'abbaye de Redon. Le tombolo sableux (l'isthme de Penthièvre) qui l'unit au continent, ne s'est formé que par la suite.
Sources littéraires anciennes
César, Guerre des Gaules, II, 34 : "Dans le même temps, César fut informé par P. Crassus, envoyé par lui, avec une seule légion, contre les Vénètes, les Unelles, les Osismes, les Curiosolites, les Esuvii, les Aulerques, les Redons, peuples maritimes sur les côtes de l'Océan, qu'ils s'étaient tous soumis au pouvoir du peuple romain."
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César, Guerre des Gaules, III, 7 : "Le jeune P. Crassus hivernait avec la septième légion, près de l'Océan, chez les Andes. Comme il manquait de blé dans ce pays, il envoya des préfets et plusieurs tribuns militaires chez les peuples voisins, pour demander des subsistances ; T. Terrasidius, entre autres, fut délégué chez les Esuvii ; M. Trébius Gallus chez les Coriosolites ; Q. Vélanius avec T. Sillius chez les Vénètes."
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César, Guerre des Gaules, III, 8 : "Cette dernière nation est de beaucoup la plus puissante de toute cette côte maritime. Les Vénètes, en effet, ont un grand nombre de vaisseaux qui leur servent à communiquer avec la Bretagne ; ils surpassent les autres peuples dans l'art et dans la pratique de la navigation, et, maîtres du peu de ports qui se trouvent sur cette orageuse et vaste mer, ils prélèvent des droits sur presque tous ceux qui naviguent dans ces parages. Les premiers, ils retinrent Sillius et Vélanius, espérant, par ce moyen, forcer Crassus à leur rendre les otages qu'ils lui avaient donnés. Entraînés par la force d'un tel exemple, leurs voisins, avec cette prompte et soudaine résolution qui caractérise les Gaulois, retiennent, dans les mêmes vues, Trébius et Terrasidius ; s'étant envoyé des députés, ils conviennent entre eux, par l'organe de leurs principaux habitants, de ne rien faire que de concert, et de courir le même sort. Ils sollicitent les autres états à se maintenir dans la liberté qu'ils ont reçue de leurs pères, plutôt que de subir le joug des Romains. Ces sentiments sont bientôt partagés par toute la côte maritime ; ils envoient alors en commun des députés à Crassus, pour lui signifier qu'il eût à leur remettre leurs otages, s'il voulait que ses envoyés lui fussent rendus."
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César, Guerre des Gaules, III, 9 : "César, instruit de ces faits par Crassus, et se trouvant alors très éloigné, ordonne de construire des galères sur la Loire, qui se jette dans l'Océan, de lever des rameurs dans la province, de rassembler des matelots et des pilotes. Ces ordres ayant été promptement exécutés, lui-même, dès que la saison le permet, se rend à l'armée. Les Vénètes et les autres états coalisés, apprenant l'arrivée de César, et sentant de quel crime ils s'étaient rendus coupables pour avoir retenu et jeté dans les fers des députés dont le nom chez toutes les nations fut toujours sacré et inviolable, se hâtèrent de faire des préparatifs proportionnés à la grandeur du péril, et surtout d'équiper leurs vaisseaux. Ce qui leur inspirait le plus de confiance, c'était l'avantage des lieux. Ils savaient que les chemins de pied étaient interceptés par les marées, et que la navigation serait difficile pour nous sur une mer inconnue et presque sans ports. Ils espéraient en outre que, faute de vivres, notre armée ne pourrait séjourner longtemps chez eux ; dans le cas où leur attente serait trompée, ils comptaient toujours sur la supériorité de leurs forces navales. Les Romains manquaient de marine et ignoraient les rades, les ports et les îles des parages où ils feraient la guerre ; la navigation était tout autre sur une mer fermée que sur. une mer aussi vaste et aussi ouverte que l'est l'Océan. Leurs résolutions étant prises, ils fortifient leurs places et transportent les grains de la campagne dans les villes. Ils réunissent en Vénétie le plus de vaisseaux possible, persuadés que César y porterait d'abord la guerre. Ils s'associent pour la faire les Osismes, les Lexovii, les Namnètes, les Ambiliates, les Morins, les Diablintes et les Ménapes ; ils demandent des secours à la Bretagne, située vis-à-vis de leurs côtes."
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César, Guerre des Gaules, III, 11 : "Il fait partir son lieutenant Q. Titurius Sabinus, avec trois légions, chez les Unelles, les Coriosolites et les Lexovii, pour tenir ces peuples en respect. II donne au jeune D. Brutus le commandement de la flotte et des vaisseaux gaulois, qu'il avait fait venir de chez les Pictons, les Santons et autres pays pacifiés, et il lui enjoint de se rendre au plus tôt chez les Vénètes, lui-même en prend le chemin avec les troupes de terre."
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César, Guerre des Gaules, III, 12 : "Telle était la disposition de la plupart des places de l'ennemi, que, situées à l'extrémité de langues de terre et sur des promontoires, elles n'offraient d'accès ni aux gens de pied quand la mer était haute, ce qui arrive constamment deux fois dans l'espace de vingt-quatre heures, ni aux vaisseaux que la mer, en se retirant, laisserait à sec sur le sable. Ce double obstacle rendait très difficile le siège de ces villes. Si, après de pénibles travaux, on parvenait à contenir la mer par une digue et des môles, et à s'élever jusqu'à la hauteur des murs, les assiégés, commençant à désespérer de leur fortune, rassemblaient leurs nombreux navires, dernière et facile ressource, y transportaient tous leurs biens, et se retiraient dans des villes voisines. Là ils se défendaient de nouveau par les mêmes avantages de position. Cette manoeuvre leur fut d'autant plus facile durant une grande partie de l'été, que nos vaisseaux étaient retenus par les vents contraires et éprouvaient de grandes difficultés à naviguer sur une mer vaste, ouverte, sujette à de hautes marées et presque entièrement dépourvue de ports."
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César, Guerre des Gaules, III, 13 : "Les vaisseaux des ennemis étaient construits et armés de la manière suivante : la carène en est un peu plus plate que celle des nôtres, ce qui leur rend moins dangereux les bas-fonds et le reflux ; les proues sont très élevées, les poupes peuvent résister aux plus grandes vagues et aux tempêtes ; les navires sont tout entiers de chêne et peuvent supporter les chocs les plus violents. Les bancs, faits de poutres d'un pied d'épaisseur, sont attachés par des clous en fer de la grosseur d'un pouce ; les ancres sont retenues par des chaînes de fer au lieu de cordages ; des peaux molles et très amincies leur servent de voiles, soit qu'ils manquent de lin ou qu'ils ne sachent pas l'employer, soit encore qu'ils regardent, ce qui est plus vraisemblable, nos voiles comme insuffisantes pour affronter les tempêtes violentes et les vents impétueux de l'Océan, et pour diriger des vaisseaux aussi pesants. Dans l'abordage de ces navires avec les nôtres, ceux-ci ne pouvaient l'emporter que par l'agilité et la vive action des rames ; du reste, les vaisseaux des ennemis étaient bien plus en état de lutter, sur ces mers orageuses, contre la force des tempêtes. Les nôtres ne pouvaient les entamer avec leurs éperons, tant ils étaient solides ; leur hauteur les mettait à l'abri des traits, et, par la même cause, ils redoutaient moins les écueils. Ajoutons que, lorsqu'ils sont surpris par un vent violent, ils soutiennent sans peine la tourmente et s'arrêtent sans crainte sur les bas-fonds, et, qu'au moment du reflux, ils ne redoutent ni les rochers ni les brisants ; circonstances qui étaient toutes à craindre pour nos vaisseaux."
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César, Guerre des Gaules, III, 14 : "Après avoir enlevé plusieurs places, César, sentant que toute la peine qu'il prenait était inutile, et qu'il ne pouvait ni empêcher la retraite des ennemis en prenant leurs villes, ni leur faire le moindre mal, résolut d'attendre sa flotte. Dès qu'elle parut et qu'elle fut aperçue de l'ennemi deux cent vingt de leurs vaisseaux environ, parfaitement équipés et armés, sortirent du port et vinrent se placer devant les nôtres. Brutus, le chef de la flotte, les tribuns militaires et les centurions qui commandaient chaque vaisseau, n'étaient pas fixés sur ce qu'ils avaient à faire et sur la manière d'engager le combat. Ils savaient que l'éperon de nos galères était sans effet ; que nos tours, à quelque hauteur qu'elles fussent portées, ne pouvaient atteindre même la poupe des vaisseaux des barbares, et qu'ainsi nos traits lancés d'en bas seraient une faible ressource, tandis que ceux des Gaulois nous accableraient. Une seule invention nous fut d'un grand secours : c'étaient des faux extrêmement tranchantes, emmanchées de longues perches, peu différentes de celles employées dans les sièges. Quand, au moyen de ces faux, les câbles qui attachent les vergues aux mâts étaient accrochés et tirés vers nous ; on les rompait en faisant force de rames ; les câbles une fois brisés, les vergues tombaient nécessairement, et cette chute réduisait aussitôt à l'impuissance les vaisseaux gaulois, dont toute la force était dans les voiles et les agrès. L'issue du combat ne dépendait plus que du courage, et en cela nos soldats avaient aisément l'avantage, surtout dans une action qui se passait sous les yeux de César et de toute l'armée ; aucun trait de courage ne pouvait rester inaperçu ; car toutes les collines et les hauteurs, d'où l'on voyait la mer à peu de distance, étaient occupées par l'armée."
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César, Guerre des Gaules, III, 15 : "Dès qu'un vaisseau était ainsi privé de ses vergues, deux ou trois des nôtres l'entouraient, et nos soldats, pleins d'ardeur, tentaient l'abordage. Les barbares ayant, par cette manoeuvre, perdu une partie de leurs navires, et ne voyant nulle ressource contre ce genre d'attaque, cherchèrent leur salut dans la fuite : déjà ils avaient tourné leurs navires de manière à recevoir le vent, lorsque tout à coup eut lieu un calme plat qui leur rendit tout mouvement impossible. Cette heureuse circonstance compléta le succès ; car les nôtres les attaquèrent et les prirent l'un après l'autre, et un bien petit nombre put regagner la terre à la faveur de la nuit, après un combat qui avait duré depuis environ la quatrième heure du jour jusqu'au coucher du soleil."
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César, Guerre des Gaules, III, 16 : "Cette bataille mit fin à la guerre des Vénètes et de tous les états maritimes de cette côte ; car toute la jeunesse et même tous les hommes d'un âge mûr, distingués par leur caractère ou par leur rang, s'étaient rendus à cette guerre, pour laquelle tout ce qu'ils avaient de vaisseaux en divers lieux avait été rassemblé en un seul. La perte qu'ils venaient d'éprouver ne laissait au reste des habitants aucune ressource pour la retraite, aucun moyen de défendre leurs villes. Ils se rendirent donc à César avec tout ce qu'ils possédaient. César crut devoir tirer d'eux une vengeance éclatante, qui apprît aux barbares à respecter désormais le droit des ambassadeurs. II fit mettre à mort tout le sénat, et vendit à l'encan le reste des habitants."
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César, Guerre des Gaules, III, 17 : "Tandis que ces événements se passaient chez les Vénètes, Q. Titurius Sabinus arrivait sur les terres des Unelles avec les troupes qu'il avait reçues de César. Viridovix était à la tête de cette nation et avait le commandement en chef de tous les états révoltés, dont il avait tiré une armée et des forces redoutables. Depuis peu de jours les Aulerques Éburovices et les Lexovii, après avoir égorgé leur sénat qui s'opposait à la guerre, avaient fermé leurs portes et s'étaient joints à Viridovix. Enfin de tous les points de la Gaule était venue une multitude d'hommes perdus et de brigands que l'espoir du pillage et la passion de la guerre avaient arrachés à l'agriculture et à leurs travaux journaliers."
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César, Guerre des Gaules, III, 18 : "L'opinion de cette frayeur s'étant affermie, Sabinus choisit parmi les Gaulois qu'il avait près de lui comme auxiliaires, un homme habile et fin. Il lui persuade, à force de récompenses et de promesses, de passer aux ennemis, et l'instruit de ce qu'il doit faire. Dès que cet homme est arrivé parmi eux comme transfuge, il parle de la terreur des Romains, il annonce que César lui-même est enveloppé par les Vénètes, et que, pas plus tard que la nuit suivante, Sabinus doit sortir secrètement de son camp avec son armée, et partir au secours de César. Les Gaulois n'ont pas plus tôt entendu ce rapport qu'ils s'écrient tous qu'il ne faut pas perdre une occasion si belle, et qu'on doit marcher au camp des Romains. Plusieurs motifs excitaient les Gaulois : l'hésitation de Sabinus pendant les jours précédents, le rapport du transfuge, le manque de vivres, chose à laquelle on avait pourvu avec peu de diligence, l'espérance fondée sur la guerre des Vénètes, enfin cette facilité des hommes à croire ce qu'ils désirent. Décidés par tous ces motifs, ils ne laissent point sortir du conseil Viridovix et les autres chefs, qu'ils n'aient obtenu d'eux de prendre les armes, et de marcher contre nous. Joyeux de cette promesse, et comme assurés de la victoire, ils se chargent de sarments et de broussailles pour combler les fossés des Romains, et se dirigent vers leur camp."
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Dion Cassius, Histoire romaine, XXXIX, 40 : "Sous le consulat de Marcellinus et de Philippe, César se mit en campagne contre les Vénètes, qui habitent sur les bords de l'Océan : ils s'étaient emparés de quelques soldats romains, envoyés sur leurs terres pour fourrager. Des députés vinrent les réclamer : les Vénètes les retinrent aussi, dans l'espoir d'obtenir en échange, les otages qu'ils avaient donnés ; niais César ne les rendit pas. Il envoya même des détachements dans diverses directions, les uns pour ravager les terres des peuples qui avaient soutenu la défection des Vénètes et les empêcher de se secourir mutuellement, les autres pour observer ceux qui étaient en paix avec les Romains, afin de prévenir de nouveaux mouvements ; puis il marcha en personne contre les barbares, après avoir fait construire dans l'intérieur des terres des barques qui pussent, d'après ce qu'il avait entendu dire, résister au flux et au reflux de la mer. Il les fit descendre par la Loire ; mais l'été presque tout entier s'écoula sans qu'il remportât aucun avantage. Les villes des Vénètes, bâties dans des lieux fortifiés par la nature, étaient inaccessibles : l'Océan, qui les baignait presque toutes et dont les eaux montent et s'abaissent tour à tour, eu rendait l'attaque impossible pour les troupes de terre et même pour les vaisseaux, au moment du reflux, ou lorsque les flots vont se briser contre le rivage. César fut dans le plus grand embarras jusqu'au jour où Décimus Brutus se rendit de la mer Intérieure auprès de lui avec des vaisseaux légers. Il ne comptait pas sur le succès, même avec le concours de ces vaisseaux : heureusement les barbares ne s'en inquiétèrent nullement, à cause de leur petitesse et de leur mauvaise construction, et ils furent vaincus."
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Dion Cassius, Histoire romaine, XXXIX, 41 : "Nos vaisseaux étaient légèrement construits et pouvaient voguer avec célérité, comme l'exige notre manière de naviguer ; tandis que ceux des barbares, que la continuité de la marée exposait souvent à rester à sec et qui devaient être en état de supporter le flux et le reflux, étaient beaucoup plus grands et beaucoup plus lourds. Aussi les Vénètes, qui n'avaient jamais eu affaire à de pareils vaisseaux, en conçurent, d'après leur apparence, une mauvaise opinion et les attaquèrent pendant qu'ils étaient encore en mouillage, espérant les couler bas sans la moindre peine avec leurs avirons. Ils étaient poussés par un vent abondant et rapide, dont les voiles recueillaient d'autant plus avidement toute la force qu'elles étaient en peau."
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Dion Cassius, Histoire romaine, XXXIX, 42 : "Tant qu'il souffla, Brutus n'osa s'avancer contre les Vénètes, autant à cause du nombre et de la grandeur de leurs navires qu'à cause du vent qui les favorisait, ou parce qu'il craignait quelque piège. Il se disposa même à abandonner complètement ses vaisseaux et à se défendre contre leurs attaques sur terre ; mais le vent tomba tout à coup, les flots se calmèrent, les navires des barbares, loin d'être poussés avec la même rapidité par les rames, étaient en quelque sorte rendus immobiles par leur pesanteur. Brutus alors reprit courage et fondit sur les ennemis : tantôt courant autour d'eux ou s'ouvrant un passage à travers leurs lignes, tantôt s'avançant ou reculant, comme il voulait et autant qu'il le jugeait convenable ; combattant ici avec plusieurs vaisseaux contre un seul, là avec autant de vaisseaux qu'en avaient ses adversaires, d'autres fois avec un nombre moindre, il leur faisait beaucoup de mal, sans courir le moindre danger. Avait-il le dessus quelque part, il les pressait sur ce point, brisait et submergeait leurs vaisseaux, ou bien il les escaladait de plusieurs côtés à la fois, attaquait les hommes qui les montaient et en massacrait une grande partie. Craignait-il d'avoir le dessous, il battait facilement en retraite, et, en définitive, il avait toujours l'avantage."
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Dion Cassius, Histoire romaine, XXXIX, 43 : "Les Vénètes, qui ne se servaient pas de flèches et qui ne s'étaient point pourvus de pierres, ne croyant pas en avoir besoin, repoussaient jusqu'à un certain point les Romains qui combattaient de près ; mais ils ne pouvaient rien contre ceux qui se tenaient même à une courte distance. Ils étaient blessés ou tués, sans pouvoir se défendre : leurs vaisseaux étaient brisés par le choc des vaisseaux ennemis ou consumés par les flammes ; quelques-uns même, dépourvus d'équipage, furent attachés à ceux des Romains et traînés à la remorque. A la vue d'un tel désastre, les soldats de la flotte barbare qui avaient survécu se tuèrent pour ne pas être pris vivants, ou s'élancèrent dans la mer, afin d'y trouver la mort sous les coups des vainqueurs en cherchant à escalader leurs vaisseaux, ou de toute autre manière. Ils ne leur cédaient ni eu courage ni en audace ; mais trahis par l'immobilité de leurs vaisseaux, ils furent réduits à fa dernière extrémité ; car les Romains, dans la crainte que quelque vent ne vint à s'élever encore et à mettre leur flotte en mouvement, dirigeaient de loin contre eux des perches armées de faux qui coupaient les cordages et déchiraient les voiles. Les Vénètes, forcés de soutenir, pour ainsi dire, un combat de terre sur leurs navires contre les Romains, qui pouvaient en toute liberté faire usage de leurs vaisseaux, périrent pour la plupart : le reste fut pris. César fit mettre à mort ceux qui occupaient le premier rang et vendit les autres."
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Eustathe, Commentaire de Denys de Périégète, V, 378 : "Plusieurs affirment que ces Enétes des environs d'Aquileia sont une colonie de leurs homonymes parocéanites , qui sont appelés non-seulement Enétes, mais aussi Belges. Or les Belges sont un peuple celtique. Le géographe dit que ces Vénétes, j'entends les parocéanites, sont les fondateurs de la colonie des Vénétes de l'Adrie, et que ce sont eux qui combattirent contre César pour l'empêcher de passer en Brettanie. D'autres affirmant que ces Enétes sont des Paphlagons échappés de la guerre de Troie, et venus dans ce pays avec le troyen Anténor, allèguent comme preuve les soins qu'ils se donnent pour l'élève des chevaux, ainsi que faisaient les Enétes Paphlagons dans Homère. Le dressage des chevaux tel qu'il est pratiqué chez les Enétes était en renom dans l'Hellade."
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Pline, Histoire naturelle, IV, 107 : "La Gaule Lyonnaise renferme les Lexoviens, les Vellocasses, les Gallètes, les Vénètes, les Abrincatuens, les Osismiens ; la Loire, fleuve célèbre ; une péninsule remarquable qui s'avance dans l'Océan, à partir des Osis iens, dont le tour est de 625.000 pas, et dont le col a 125.000 pas de large ; au delà de cette péninsule, les Nannètes ; dans l'intérieur, les Héduens, aillés, les Carnutes, alliés, les Boïens, les Sénons, les Aulerques, surnommés Éburoviques, et ceux qui sont surnommés Cénomans ; les Meldes, libres ; les Parisiens, les Trécasses, les Andegaves, les Viducasses, les Bodiocasses, les Unelles, les Cariosvélites, les Diablindes, les Rhédons, les Turons, les Atésuens, les Segusiaves, libres, dans le territoire desquels est Lyon, colonie."
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Pline, Histoire naturelle, IV, 109 : "Il y a plusieurs îles appartenant aux Vénètes et nommées Vénétiques, et, dans le golfe d'Aquitaine, l'île d'Uliarus."
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Strabon, Géographie, IV, 4, 1 : "Les derniers peuples que nous ayons encore à mentionner après ceux qui précèdent appartiennent à la Belgique parocéanique ou maritime. De ce nombre sont les Vénètes qui livrèrent à César cette grande bataille navale : ils s'étaient proposé d'empêcher César de passer en Bretagne, l'île de Bretagne étant le principal débouché de leur commerce. Mais César eut facilement raison de leur flotte, bien que ses vaisseaux n'eussent pu faire usage de leurs éperons, le bois des embarcations vénètes ayant trop d'épaisseur : il laissa l'ennemi arriver sur lui à pleines voiles et poussé par le vent, puis, sur son ordre, les Romains, qui s'étaient munis de faux emmanchées au bout de longues piques, se mirent à couper et à arracher les voiles des vaisseaux vénètes, voiles faites en cuir à cause de la violence habituelle du vent dans ces parages, et que les Vénètes tendent, non avec des câbles, mais à l'aide de chaînes. Quant aux vaisseaux mêmes, ils sont très larges de fond, très élevés de la poupe comme de la proue, pour pouvoir mieux résister aux marées de l'Océan, et construits en chêne, vu que le chêne abonde sur ces côtes : seulement, eu égard à la nature de ce bois, on ne rapproche pas les planches de façon à les faire joindre exactement, mais on y laisse des interstices, qu'on bouche ensuite avec des algues marines, pour éviter que, quand le navire est tiré à terre, le bois, faute d'humidité, ne se dessèche; car, tandis que le bois de chêne est toujours sec et maigre, les algues sont plutôt humides de leur nature. La plupart des peuples Celtes ou Gaulois établis en Italie (les Boïens notamment et les Sénons) étant venus de la Gaule transalpine, je serais assez porté à croire que les Vénètes de l'Adriatique sont une colonie de ces Vénètes de l'Océan, et que c'est uniquement la ressemblance des noms qui les a fait passer pour originaires de Paphlagonie. Je ne donne pas du reste mon opinion pour certaine, mais elle est vraisemblable, et, dans les questions de ce genre, cela suffit. Aux Vénètes succèdent les Osismiens, ou, comme les nomme Pythéas, les [Ostimiens] : ce peuple habite une presqu'île qui avance passablement loin dans l'Océan, pas aussi loin pourtant que le prétend Pythéas et qu'on le répète d'après lui. Quant aux nations comprises entre le Sequanas et le Liger, elles confinent, [avons-nous dit,] les unes aux Séquanes, et les autres aux Arvernes."
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Strabon, Géographie, V, 1, 4 : "Ces peuples celtes appartiennent à la même race que ceux qui habitent la Transalpine ; mais il existe deux traditions différentes sur l'origine des Hénètes. Certains auteurs voient en eux une colonie de cette nation celtique des bords de l'Océan qui porte aussi le nom d'Hénètes ; suivant d'autres, une bande d'Henètes-Paphlagoniens serait venue, après la prise de Troie, et sous les auspices d'Anténor, chercher un refuge jusqu'ici. On cite même comme preuve à l'appui de cette opinion le goût des habitants du pays pour l'élève des chevaux."
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Sources épigraphiques
Inscription de Lyon (CIL 13, 1709) L(VCIO) TAVRICIO FLORENTI TAVRICI TAVRICIANI FILIO VENETO ALLECTO AR<C=K>(AE) GALL(IARVM) PATRON(O) NAVTAR(VM) ARARICORVM ET LIGERICOR(VM) ITEM ARECAR[I]ORVM ET CONDEATIVM [I]II PROVINC(IAE) GALLIAE
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"À Lucius Tauricius Florentus, fils de Tauricius Tauricianus, vénète, receveur de la caisse des Gaules, patron des nautes de l' Arar, du Rhodanus et du Liger, de même que des Arecarii et Condeates. Les 3 provinces des Gaules (ont élevé ce monument)."
Borne leugaire de Molac (AE 1986, 490) MA[GNO] IMP(ERATORI) CAES(ARI) [A]VRE[LIANO] IN[VICTO T]RIB(VNICIA) [POT(ESTATE) ...] PROC(ONSVLI) [...] C(IVITAS) V(ENETVM)
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"Au grand empereur César (Lucius Domitius) Aurelianus, invincible, revêtu du pouvoir tribunicien, […], proconsul, […]. La cité des Vénètes."
Inscription de Sens (CIL 13, 2950) C(AIVS) DECIMIVS C(AI) DECIMI SEVERI FIL(IVS) SABINIANVS OMNIB(VS) HONORIB(VS) APVD S(VOS) FVNCT(VS) CVRATOR R(EI) P(VBLICAE) CIVIT(ATIS) VENET(ORVM) AB IMPP(ERATORIBVS) SEVERO ET ANTONIN(O) ORDINAT(VS) P(OSVIT)
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"Caius Decimius Sabinianus, fils de Caius Decimius Severus, qui a rempli toutes les fonctions honorables auprès des siens, nommé curateur de la république de la cité des Vénètes par (Lucius Septimius) Severus et (Marcus Aurelius Severus) Antoninus, a posé (ce monument)."
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